Fondation Arthritis et mécanisme de la douleur : entretien avec le docteur Didier Bouhassira (partie 2)

​​A l’occasion de la journée mondiale des rhumatismes inflammatoires qui s’est tenue le 12 octobre dernier, la Fondation Arthritis a lancé la 11ᵉ édition de l’initiative « Ensemble contre les Rhumatismes (ECR) » conjointement avec d’autres acteurs de la recherche. Entretien avec le docteur Didier Bouhassira

PAR SENIORACTU.COM | Publié le Mercredi 23 Octobre 2024

Pouvez-vous nous expliquer plus en détails en quoi consistent la neuromodulation et vos recherches sur cette approche ?

DB : Nous utilisons maintenant en routine la stimulation magnétique transcrânienne dans la fibromyalgie, après avoir travaillé plus d’une quinzaine d’années dans le cadre de la recherche.
 
Cette approche est tout-à-fait non invasive et totalement inoffensive (il n’y a pas d’effets secondaires) : elle consiste à envoyer des impulsions magnétiques répétitives, via une sonde placée sur une zone du cuir chevelu déterminée en fonction de l’emplacement des douleurs, permettant de modifier l’activité électrique cérébrale.
 
Toutefois, ce n’est pas miraculeux, nous ne guérissons pas tous les patients, mais nos résultats sont globalement satisfaisants, sachant que les patients qui viennent dans les centres de la douleur ont des douleurs réfractaires et chroniques qui ont résisté à beaucoup de traitements avant.
 
Cette approche est aussi utilisée pour des patients souffrant de lombalgies ou d’autres types de douleurs, notamment de douleurs neuropathiques.
 
Comme cela agit directement sur les structures de contrôle et de modulation de la douleur au niveau central, il n’y a pas de raison que cela marche plus sur un type de douleur qu’un autre.
 
Comme dans toutes ces douleurs chroniques, il existe des perturbations centrales, qui sont souvent assez proches même si les étiologies initiales sont différentes.
 
Ces techniques de stimulations doivent être réalisées pour l’instant assez régulièrement.
 
Par exemple, le protocole que nous utilisons se fait sur six mois, avec d’abord des simulations quotidiennes, pendant trois jours, suivies de stimulations hebdomadaires et ensuite des stimulations mensuelles, l’ensemble correspondant à une dizaine de stimulations sur six mois.
 
Nous arrêtons ensuite le protocole. Ce qui est intéressant et satisfaisant, c’est que dans beaucoup de cas, les effets durent très longtemps après l’arrêt, suggérant bien qu’on agit directement sur des circuits cérébraux, qui sont perturbés et qu’on a, en quelque sorte, « reconnecter ou reprogrammer différemment ces circuits ».
 
De temps en temps, il peut y avoir des récurrences de douleurs. Dans ce cas, on peut réaliser des « séances de rappel », tous les deux à trois mois, ce qui suffit bien souvent à maintenir les effets dans le temps pendant très longtemps.
 
Nous avons maintenant, dans notre centre, des patients traités depuis une dizaine d’années. Maintenant, de plus en plus de centres, à Paris et dans d’autres villes en France, utilisent ces techniques. Nous essayons même de les faire reconnaître par la Haute Autorité de Santé.

En conclusion, comment envisagez-vous la prise en charge de la douleur en 2024 et dans l’avenir proche ? Et vers quoi doit s’orienter, la recherche sur la douleur ?
 
Sur la prise en charge

En ce qui concerne la douleur aiguë, on peut agir avec des médicaments, y compris la morphine et les morphiniques, qui peuvent être très utiles. En revanche, pour la douleur chronique, les morphiniques, par exemple, sont à bannir quasiment.
 
On a vu d’ailleurs ce qui s’est passé aux États-Unis avec la crise des opioïdes : il y a eu une prescription abusive, un mésusage des opioïdes prescrits à des patients souffrant de douleurs aiguës ou chroniques qui ne relevaient pas du tout de ce type de traitements.
 
Ainsi, comme vous l’avez compris, ce que nous proposons dans les centres de la douleur pour les douleurs chroniques, c’est un peu « le médicament » mais ce n’est pas ce qui marche le mieux.
 
Ce sont surtout d’autres approches, notamment la neuromodulation et toutes les approches dérivées des techniques psychothérapeutiques (la méditation pleine conscience, la relaxation, l’hypnose, etc.).
 
J’insiste sur le fait que ces techniques n’ont rien de miraculeux, mais elles contribuent à améliorer le ressenti des patients et leur qualité de vie, en agissant sur les systèmes de contrôle de la douleur au niveau du cerveau.
 
Cela nécessite en général de venir à l’hôpital faire des séances de méditation, d’hypnose, de relaxation...
 
Depuis quelques années, le développement des techniques de réalité virtuelle, via des casques ou autres, offre l’avantage de le faire plus facilement, voire même de chez soi !
 
Cela se développe beaucoup, en psychiatrie, mais aussi en douleur chronique. Il existe de plus en plus d’appareils proposés maintenant (non remboursés à l’heure actuelle) qui permettent de maintenir un effet chez le patient, à domicile, après avoir démarré quelque chose à l’hôpital.
 
Recherche

Il faut développer une approche plus globale, plus transversale et plus multidisciplinaire. Je pense qu’il y aurait un intérêt à changer les mentalités des professionnels de santé, à décloisonner les spécialités pour favoriser les collaborations (notamment entre rhumatologues, neurologues, algologues, etc.).
 
De toute façon, de nombreux patients présentent plusieurs pathologies à la fois (comme une polyarthrite et une fibromyalgie), ce qui incite à la multidisciplinarité.
 
D’autre part, il est important d’essayer de trouver, si possible, des moyens plus objectifs, voire des marqueurs permettant d’identifier des mécanismes.
 
Cela nous permettrait de traiter la douleur des patients, en fonction des mécanismes sous-jacents et ne pas le faire, comme c’est le cas aujourd’hui, de façon un peu empirique « on essaye, on voit si ça marche ; si ça ne marche pas, on change, on essaye autre chose… ».
 
En revanche, ce que l’on sait et qui a été démontré dans plusieurs études, c’est que la douleur chronique est associée à une très grande diversité et une complexité de situations, que ce soit en termes de présentation clinique, mais aussi en termes de mécanismes.
 
Par conséquent, nous travaillons beaucoup sur le lien entre ces présentations cliniques, donc les symptômes qui peuvent être mesurés de différentes façons, et les mécanismes.
 
Ceci permettrait d’identifier des catégories de patients en s’appuyant sur des critères très cliniques et pas forcément physiologiques ou biologiques, pour développer de nouvelles stratégies thérapeutiques qui soient réellement efficaces pour chaque catégorie de patients.




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