Quelle est la genèse de Vortex ?
Cela fait plusieurs années que j’avais envie de tourner un film avec des personnes âgées. Avec mes grands-parents, puis avec ma mère, j’ai compris qu’il y avait dans la vieillesse des enjeux de survie très complexes.
Celle-ci génère des situations bouleversantes dans lesquelles ceux qui vous ont le plus protégé retournent à leur tour en enfance. J’ai donc imaginé un film à la narration on ne peut plus simple avec un personnage en état de décomposition mentale perdant l’usage du langage, et son petit-fils qui, lui, ne le maîtrise pas encore, comme les deux extrêmes de cette brève expérience qu’est la vie humaine.
C’est votre film le moins provocateur, le moins violent.
Ce n’est pas à moi de juger. Tout en étant mon premier long-métrage tout public, on me dit aussi que –de par cette situation ultra-courante qu’il décrit et que la plupart des gens connaissent ou vont connaître- c’est le plus dur.
J’avais déjà fait des films qui faisaient peur, qui faisaient bander ou qui faisaient rire. Cette fois-ci j’ai eu envie de faire un film qui fasse pleurer aussi fort que j’ai pu pleurer dans la vie comme au cinéma. Il y a vraiment un effet sédatif dans les larmes lorsqu’elles rentrent en contact avec les membranes des paupières qui en font une des substances les plus jouissives qui soient.
Par ailleurs, ce n’est pas la première fois que je filme avec le plus grand amour des gens plus âgés que moi, ça déjà été le cas avec Philippe Nahon avec qui j’ai fait Carne et Seul contre tous. Mais cette fois, Vortex est vraiment inspiré par des expériences de ma vie récente, et par tous ces ultra-proches brillantissimes dont j’ai vu la pensée se décomposer puis s’éteindre sous mes yeux.
Le film renvoie probablement au vide qui nous entoure et dans lequel on flotte. On m’a dit aussi que le film rappelle Enter the Void dans le sens où son sujet est le grand vide qu’est la vie et pas la mort.
C’est également votre film le plus radical, le plus désespéré.
Peut-être, pas très manichéen en tout cas. C’est juste l’histoire d’un effondrement génétiquement programmé, quand tout le château de cartes s’écroule. Comme nous l’avons écrit pour le résumé du festival de Cannes : « la vie est une courte fête qui sera vite oubliée. »
Avez-vous réalisé ce film suite à votre soudaine hémorragie cérébrale ?
Non, pas du tout. Le sujet de ce film, j’y avais pensé bien avant. Par contre, avec cet accident cérébral dont il n’y avait que très peu de chance que je sorte vivant ou même indemne, j’ai été catapulté sur la face cachée de la Lune. Sous morphine pendant trois semaines, j’ai pensé à ma mort, et à ses conséquences pour mon entourage, au bordel que j’aurais laissé.
La mort, c’est cela, les objets d’une vie que l’on laisse aux autres et qui disparaissent dans un camion-poubelle, aussi rapidement que les souvenirs qui se décomposent avec le cerveau. En tout cas, depuis que la main du destin m’a offert une joyeuse prolongation, j’ai l’impression d’être plus serein avec ces deux concepts qu’on appelle la vie et la mort.
Par ailleurs, la convalescence qui m’a été imposée suivie de cette fabuleuse expérience collective de confinement liée à un virus m’a permis de passer des mois à découvrir les plus grands mélodrames de Mizoguchi, Naruse et de l’injustement oublié Kinoshita dont la mélancolie, la cruauté et l’inventivité esthétique m’ont rappelé ce que pouvait être le très, très grand cinéma.
Ça a été un tournage commando ?
J’ai écrit un texte de 10 pages, qui est devenu 14 pages quand j’ai grossi le corps des caractères pour le déposer au CNC (rires). Canal + s’est engagé et j’ai eu l’avance sur recettes pour la première fois. J’ai tourné en avril, sur 25 jours, et terminé le 8 mai. J’avais une salle de montage sur le décor et comme nous n’avions pas des journées de tournage très longues, j’ai commencé aussitôt le montage, le soir, le week-end.
Ça a été très rapide, notamment la post production avant Cannes, mais j’aime bien le speed. Ça a réussi à Fassbinder, ça a réussi à tous les grands réalisateurs japonais des années 60. Alors, pourquoi faire lentement ce qu’on peut faire vite ?
Quand avez-vous eu l’idée du split-screen ?
L’histoire du film, elle, est très banale, c’est juste une situation qui arrive tout naturellement aux gens de 80 ans et plus, et que leurs enfants de 50 ans doivent gérer. Et ce sont des situations tellement lourdes au quotidien que la plupart de ces quinquagénaires les portent comme des malédictions individuelles dont ils sont presque honteux de parler.
Pour la forme, j’ai envisagé quelque chose de très documentaire, sans dialogue pré-écrit et dans un décor unique aussi réaliste que possible. Le seul parti pris conceptuel que j’avais était de filmer quelques scènes en split-screen (ndlr : un écran séparé) pour souligner la solitude partagée de ce couple, mais je n’avais pas prévu de le faire sur toute la durée du film.
La première semaine je n’ai donc tourné que quelques séquences avec deux caméras, mais en salle de montage je me suis dit que, quand l’un des personnages quittait le cadre nous laissant seul avec l’autre, j’avais vraiment envie de continuer à voir ce qu’il faisait en parallèle.
La réalité, c’est l’addition des perceptions de ceux qui la composent. Et comme il n’y a rien de
plus ennuyeux au cinéma que ce langage artificiel de téléfilm que presque tout le monde applique, je
me suis dit que, tant qu’à faire un truc aussi artificiel qu’un film, pourquoi ne pas s’amuser avec le split-screen ?
J’ai donc chronométré les prises et filmé les parties manquantes pour compléter les séquences. Le
procédé s’est alors imposé de lui-même dès la deuxième semaine de tournage. On a l’impression
de suivre deux tunnels qui évoluent en parallèle.
Mais qui ne se touchent pas, deux personnages irrémédiablement séparés par leur chemin de vie et par l’image. L’écriture par la caméra était un peu complexe et, comme d’habitude, je n’ai fait aucun story-board. Il faut avoir une bonne logique spatiale, et je devais constamment résoudre des Rubik’s Cube mentaux. Encore une fois, j’en dormais très mal la nuit.
Et vos acteurs ?
Mes trois acteurs, c’étaient les trois plus belles Rolls-Royce de l’improvisation dont je pouvais rêver.
Mais en travaillant avec Françoise et Dario, vu l’admiration que j’avais pour eux, je m’étais mis une grosse pression, joyeuse et constructive bien sûr. Je n’avais pas envie de me planter, de faire une mise en scène de fainéant devant un maître de l’image comme Dario Argento, ni d’oser rater une seule performance de qui que ce soit avec Françoise participant au film.
Elle, je l’idolâtre depuis que je l’ai découverte dans La Maman et la putain, alors même que la méthode de Jean Eustache avec son écriture ultra-précise des dialogues est l’exacte opposée de ce que, moi, j’essaie de faire.
Quand Dario a accepté de jouer dans le film, je n’avais même pas quinze jours pour trouver son fils. J’ai punaisé des photos de Françoise et Dario sur un mur et je me suis demandé qui pourrait physiquement être crédible comme leur fils. J’ai alors pensé à Alex Lutz.
J’avais vu par hasard Guy et j’avais été ébloui par sa performance. J’ai alors accroché sa photo à côté de celle des parents et cela fonctionnait parfaitement. Je l’ai rencontré, il était disponible. Et quand il m’a expliqué comment il avait réalisé Guy lui aussi à partir d’un scénario de 10 pages, je me suis dit qu’on était faits pour s’entendre !
Avec ce film plus adulte, vous risquez même d’avoir de bonnes critiques.
La plupart des grands films sont massacrés à leur sortie, et les plus mauvais films encensés... Donc, je ne m’en soucie pas. Pour paraphraser Pasolini, ce que l’on fait est plus important que ce que l’on dit. Vortex est peut-être un film plus adulte que mes autres films. Mais j’ai surtout l’impression qu’à part Seul contre tous, et un court-métrage intitulé Sida, je n’avais jamais fait que des films sur des ados pour des ados. Aujourd’hui à cinquante-sept ans, je rentre peut-être enfin un peu dans l’âge adulte.
Cela fait plusieurs années que j’avais envie de tourner un film avec des personnes âgées. Avec mes grands-parents, puis avec ma mère, j’ai compris qu’il y avait dans la vieillesse des enjeux de survie très complexes.
Celle-ci génère des situations bouleversantes dans lesquelles ceux qui vous ont le plus protégé retournent à leur tour en enfance. J’ai donc imaginé un film à la narration on ne peut plus simple avec un personnage en état de décomposition mentale perdant l’usage du langage, et son petit-fils qui, lui, ne le maîtrise pas encore, comme les deux extrêmes de cette brève expérience qu’est la vie humaine.
C’est votre film le moins provocateur, le moins violent.
Ce n’est pas à moi de juger. Tout en étant mon premier long-métrage tout public, on me dit aussi que –de par cette situation ultra-courante qu’il décrit et que la plupart des gens connaissent ou vont connaître- c’est le plus dur.
J’avais déjà fait des films qui faisaient peur, qui faisaient bander ou qui faisaient rire. Cette fois-ci j’ai eu envie de faire un film qui fasse pleurer aussi fort que j’ai pu pleurer dans la vie comme au cinéma. Il y a vraiment un effet sédatif dans les larmes lorsqu’elles rentrent en contact avec les membranes des paupières qui en font une des substances les plus jouissives qui soient.
Par ailleurs, ce n’est pas la première fois que je filme avec le plus grand amour des gens plus âgés que moi, ça déjà été le cas avec Philippe Nahon avec qui j’ai fait Carne et Seul contre tous. Mais cette fois, Vortex est vraiment inspiré par des expériences de ma vie récente, et par tous ces ultra-proches brillantissimes dont j’ai vu la pensée se décomposer puis s’éteindre sous mes yeux.
Le film renvoie probablement au vide qui nous entoure et dans lequel on flotte. On m’a dit aussi que le film rappelle Enter the Void dans le sens où son sujet est le grand vide qu’est la vie et pas la mort.
C’est également votre film le plus radical, le plus désespéré.
Peut-être, pas très manichéen en tout cas. C’est juste l’histoire d’un effondrement génétiquement programmé, quand tout le château de cartes s’écroule. Comme nous l’avons écrit pour le résumé du festival de Cannes : « la vie est une courte fête qui sera vite oubliée. »
Avez-vous réalisé ce film suite à votre soudaine hémorragie cérébrale ?
Non, pas du tout. Le sujet de ce film, j’y avais pensé bien avant. Par contre, avec cet accident cérébral dont il n’y avait que très peu de chance que je sorte vivant ou même indemne, j’ai été catapulté sur la face cachée de la Lune. Sous morphine pendant trois semaines, j’ai pensé à ma mort, et à ses conséquences pour mon entourage, au bordel que j’aurais laissé.
La mort, c’est cela, les objets d’une vie que l’on laisse aux autres et qui disparaissent dans un camion-poubelle, aussi rapidement que les souvenirs qui se décomposent avec le cerveau. En tout cas, depuis que la main du destin m’a offert une joyeuse prolongation, j’ai l’impression d’être plus serein avec ces deux concepts qu’on appelle la vie et la mort.
Par ailleurs, la convalescence qui m’a été imposée suivie de cette fabuleuse expérience collective de confinement liée à un virus m’a permis de passer des mois à découvrir les plus grands mélodrames de Mizoguchi, Naruse et de l’injustement oublié Kinoshita dont la mélancolie, la cruauté et l’inventivité esthétique m’ont rappelé ce que pouvait être le très, très grand cinéma.
Ça a été un tournage commando ?
J’ai écrit un texte de 10 pages, qui est devenu 14 pages quand j’ai grossi le corps des caractères pour le déposer au CNC (rires). Canal + s’est engagé et j’ai eu l’avance sur recettes pour la première fois. J’ai tourné en avril, sur 25 jours, et terminé le 8 mai. J’avais une salle de montage sur le décor et comme nous n’avions pas des journées de tournage très longues, j’ai commencé aussitôt le montage, le soir, le week-end.
Ça a été très rapide, notamment la post production avant Cannes, mais j’aime bien le speed. Ça a réussi à Fassbinder, ça a réussi à tous les grands réalisateurs japonais des années 60. Alors, pourquoi faire lentement ce qu’on peut faire vite ?
Quand avez-vous eu l’idée du split-screen ?
L’histoire du film, elle, est très banale, c’est juste une situation qui arrive tout naturellement aux gens de 80 ans et plus, et que leurs enfants de 50 ans doivent gérer. Et ce sont des situations tellement lourdes au quotidien que la plupart de ces quinquagénaires les portent comme des malédictions individuelles dont ils sont presque honteux de parler.
Pour la forme, j’ai envisagé quelque chose de très documentaire, sans dialogue pré-écrit et dans un décor unique aussi réaliste que possible. Le seul parti pris conceptuel que j’avais était de filmer quelques scènes en split-screen (ndlr : un écran séparé) pour souligner la solitude partagée de ce couple, mais je n’avais pas prévu de le faire sur toute la durée du film.
La première semaine je n’ai donc tourné que quelques séquences avec deux caméras, mais en salle de montage je me suis dit que, quand l’un des personnages quittait le cadre nous laissant seul avec l’autre, j’avais vraiment envie de continuer à voir ce qu’il faisait en parallèle.
La réalité, c’est l’addition des perceptions de ceux qui la composent. Et comme il n’y a rien de
plus ennuyeux au cinéma que ce langage artificiel de téléfilm que presque tout le monde applique, je
me suis dit que, tant qu’à faire un truc aussi artificiel qu’un film, pourquoi ne pas s’amuser avec le split-screen ?
J’ai donc chronométré les prises et filmé les parties manquantes pour compléter les séquences. Le
procédé s’est alors imposé de lui-même dès la deuxième semaine de tournage. On a l’impression
de suivre deux tunnels qui évoluent en parallèle.
Mais qui ne se touchent pas, deux personnages irrémédiablement séparés par leur chemin de vie et par l’image. L’écriture par la caméra était un peu complexe et, comme d’habitude, je n’ai fait aucun story-board. Il faut avoir une bonne logique spatiale, et je devais constamment résoudre des Rubik’s Cube mentaux. Encore une fois, j’en dormais très mal la nuit.
Et vos acteurs ?
Mes trois acteurs, c’étaient les trois plus belles Rolls-Royce de l’improvisation dont je pouvais rêver.
Mais en travaillant avec Françoise et Dario, vu l’admiration que j’avais pour eux, je m’étais mis une grosse pression, joyeuse et constructive bien sûr. Je n’avais pas envie de me planter, de faire une mise en scène de fainéant devant un maître de l’image comme Dario Argento, ni d’oser rater une seule performance de qui que ce soit avec Françoise participant au film.
Elle, je l’idolâtre depuis que je l’ai découverte dans La Maman et la putain, alors même que la méthode de Jean Eustache avec son écriture ultra-précise des dialogues est l’exacte opposée de ce que, moi, j’essaie de faire.
Quand Dario a accepté de jouer dans le film, je n’avais même pas quinze jours pour trouver son fils. J’ai punaisé des photos de Françoise et Dario sur un mur et je me suis demandé qui pourrait physiquement être crédible comme leur fils. J’ai alors pensé à Alex Lutz.
J’avais vu par hasard Guy et j’avais été ébloui par sa performance. J’ai alors accroché sa photo à côté de celle des parents et cela fonctionnait parfaitement. Je l’ai rencontré, il était disponible. Et quand il m’a expliqué comment il avait réalisé Guy lui aussi à partir d’un scénario de 10 pages, je me suis dit qu’on était faits pour s’entendre !
Avec ce film plus adulte, vous risquez même d’avoir de bonnes critiques.
La plupart des grands films sont massacrés à leur sortie, et les plus mauvais films encensés... Donc, je ne m’en soucie pas. Pour paraphraser Pasolini, ce que l’on fait est plus important que ce que l’on dit. Vortex est peut-être un film plus adulte que mes autres films. Mais j’ai surtout l’impression qu’à part Seul contre tous, et un court-métrage intitulé Sida, je n’avais jamais fait que des films sur des ados pour des ados. Aujourd’hui à cinquante-sept ans, je rentre peut-être enfin un peu dans l’âge adulte.