Vortex, Alzheimer en split-screen : entretien avec la comédienne Françoise Lebrun

Le dernier film du sulfureux réalisateur franco-argentin Gaspar Noé, Vortex, est sorti la semaine dernière dans les salles obscures. L’histoire ? Celle d’un couple âgé vivant dans un appartement parisien entourés de livres et de souvenirs. Il est cinéphile, historien et théoricien du cinéma ; elle est psychanalyste à la retraite et atteinte de la maladie d’Alzheimer. Amoureux, ils vont vivre leurs derniers jours. Entretien avec la comédienne Françoise Lebrun.

PAR SENIORACTU.COM | Publié le 19/04/2022

Savez-vous pourquoi Gaspar Noé a fait appel à vous ?
Oui ! Il a vu La Maman et la putain et c’est un film qu’il aime beaucoup, qui l’a vraiment touché. Mais
nous n’en avons pas beaucoup parlé, nous sommes restés très pudiques.
 
Vous a-t-il donné un scénario ?
Non, et je n’en n’avais pas envie. Il m’a appelé il y a quelques mois, nous avons déjeuné. Un jour, il
m’a proposé de lire le scénario, et j’ai refusé car cela me semblait évident que nous avions un bout
de chemin à effectuer ensemble. Il m’a raconté plus ou moins l’histoire, mais j’avais une forme de
confiance dans notre relation.
 
Je me disais que cet homme avait vu ce que je suis capable de faire et qu’il aimait ce qui a été à l’origine de toute mon histoire cinématographique. Donc, je lui faisais confiance. C’est aussi basique que cela...
 
Connaissiez-vous le cinéma de Gaspar Noé ?
Un petit peu. Je suis allée voir Lux Æterna et il m’a donné des DVD de ses films qui m’ont fait beaucoup rire... J’ai trouvé qu’il filmait les acteurs avec beaucoup d’empathie. Je pense à certains plans sur Béatrice Dalle, il pose un regard très beau sur l’acteur ou l’actrice.
 
Gaspar Noé est un fils de peintre et je trouve qu’il travaille comme un peintre, il prépare son cadre comme un tableau. Il est très méticuleux sur la composition de l’image.
 
Il a quand même la réputation d’être un metteur en scène provocateur, avec des séquences qui vont très loin dans la violence ou le sexe.
Il ne voulait clairement pas m’emmener dans cette direction, avec ce film, il a basculé vers autre chose. Je savais plus ou moins que le sujet lui était très personnel, il a une connaissance profonde du
personnage que j’incarne. Cela m’a aidé pour jouer.
 
J’ai regardé beaucoup de documentaires sur la maladie d’Alzheimer et j’ai réalisé que chaque personne développe sa propre maladie. Je me suis lancée et je savais que Gaspar était là pour diriger cette exploration dans l’inconnue que je faisais.
 
Est-ce que Gaspar parle de la psychologie des personnages ?
Pas du tout ! Ou alors, je n’ai rien compris (rires). Il donne des indications pratiques : « le regard plus vide, agite les doigts, marmonne... » Des choses très concrètes. Il ne parle pas des états d’âme du personnage et tant mieux car je ne supporte pas trop cela.
 
Comment s’est déroulé le tournage ?
Avec les documentaires que j’ai visionnés, j’ai découvert que les personnes qui souffrent d’un Alzheimer ont souvent des problèmes avec la parole et ne répondent pas toujours quand on leur parle.
 
Avec mes partenaires, j’ai essayé de trouver une communication qui ne passe pas obligatoirement par la parole. C'était une aventure éprouvante, mais réalisée dans la confiance. Et mes deux partenaires
étaient formidables. Nous étions dans le même bateau, avec chacun ses modes de communication.
 
Vous savez, nous avons fait des retakes quinze jours après la fin du tournage, des choses simples, je
ressors dans la rue, je marche... Je me suis aperçue qu’il me fallait du temps pour retrouver l’état dans
lequel j’avais été pendant le tournage. Mine de rien, cela a été une plongée dans quelque chose que je ne connaissais pas, que je ne maîtrisais pas.
 
C’était un saut dans l’inconnu. Une des premières spectatrices a demandé à Gaspar si j’étais vraiment atteinte d’Alzheimer, j’ai donc bien fait mon boulot...
 
Le tournage a-t-il été éprouvant ?
Il fallait abandonner tous les réflexes préalables. A cause du split screen, nous avons fait beaucoup de prises. Le gros travail a été de lâcher prise, de ne pas maîtriser. Et en même temps, à cause du travail avec deux caméras, c’était parfois très technique. Je me souviens qu’il a fallu une fois tourner un plan
d’exactement dix secondes. Ça change et c’est très excitant.










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