Tutelle : le point avec trois experts (partie 1)

Au lendemain de cette période électorale et dans la perspective des prochains débats concernant les aidants familiaux et la protection judiciaire, l’association France Tutelle vient de présenter les résultats du volet 2 de son baromètre 2021, « Regard(s) des Français sur la vulnérabilité et la protection juridique de leur proche ». Elle fait le point sur différents sujets relatifs à cette problématique avec trois experts*

PAR SENIORACTU.COM | Publié le 04/07/2022

De votre point de vue, quels paradoxes mettent en lumière les résultats de ce baromètre ?
Eric Martin – Le devoir moral des familles que vous relevez est une réalité dans ma pratique. Il fait apparaître un antagonisme fort. Il s’accompagne presque toujours d’inquiétudes et de doutes comme le montre également votre étude.
 
Ces craintes concernent principalement les risques encourus. A mon sens, cette problématique rejoint celle de l’information. Plus les familles sont sensibilisées aux conséquences de leur mission, plus les doutes et les réticences peuvent être rapidement dissipés.
 
Cela pose également la question du moment et du lieu où cette information devrait être délivrée. Lors de l’audition, lorsque les familles sont anxieuses et parfois même apeurées par l’institution judiciaire, est-ce le moment le plus opportun ?
 
Je n’en suis pas certain. C’est pourquoi, je tends à privilégier, autant que faire se peut, le déplacement à domicile. Votre baromètre fait également apparaître que seuls 14% des personnes interrogées semblent savoir comment déposer une requête. Ce chiffre est inquiétant et il questionne notre capacité collective à informer et sensibiliser ces familles, d’autant qu’il existe sur les territoires de nombreux dispositifs et sources d’information.
 
Gilles Raoul-Cormeil – Les résultats de votre baromètre mettent en évidence, et l’on peut s’en réjouir, une vraie conscience juridique de la part des personnes interrogées. Elles semblent manifestement avoir conscience du devoir familial et de la responsabilité juridique liés à leur mission.
 
Paradoxalement, ces personnes semblent ignorer un principe bien connu en droit qui est posé à l’article 1992 du Code Civil : lorsque l’on exerce une mission à titre gratuit, on engage in fine sa responsabilité, de manière marginale, contrairement à l’exercice de la mission à titre onéreux par les professionnels.
 
Cela ne veut toutefois pas dire que tout abus ne sera pas puni. Nous sommes ici dans une logique d’obligation de moyens et non de résultats, sauf manquements graves aux intérêts de la personne protégée. Ce paradoxe rejoint celui relatif à une éventuelle allocation par l’État aux familles.
 
Il y a, à mon sens, là également une méconnaissance du devoir familial. En France, la solidarité étatique est subsidiaire, elle n’intervient qu’à défaut de solidarité familiale. En revanche, penser cette
question à travers notamment une politique fiscale incitative pour les aidants pourrait s’avérer une approche pertinente.
 
Aïda Sadfi – Les acteurs du champ financier et patrimonial me semblent prendre progressivement conscience du véritable enjeu sociétal que représente la vulnérabilité.
 
Si l’on regarde l’exemple des conseillers en gestion patrimoniale que je connais bien, je suis persuadée que beaucoup d’entre eux sont confrontés d’une manière ou d’une autre à ces sujets, sans d’ailleurs avoir nécessairement de solutions adéquates face à des situations humaines parfois complexes.
 
Compte tenu du nombre grandissant de personnes concernées, il est certain que cet enjeu mérite d’être davantage appréhendé par l’ensemble de la profession. Il peut d’ailleurs être une formidable occasion de poursuivre les efforts, encouragés par la législation actuelle de leur secteur d’activité, en matière de développement de la dimension conseil dans leurs métiers.
 
Avant d’être des experts du chiffre dans leurs spécialités, ce sont des professionnels du conseil. C’est en tout cas un des enseignements que je tire de votre baromètre puisque les Français interrogés affirment vouloir se tourner prioritairement vers des métiers du chiffre et du droit pour les accompagner dans l’exercice d’une mesure de protection.
 
Interviews réalisées par Laetitia Fontecave et Federico Palermiti
 
*Eric Martin, Juge des Contentieux de la Protection à Alençon
Aïda Sadfi, Directrice Générale d’APREDIA – Société d’études indépendante
Gilles Raoul-Cormeil, Professeur de Droit Privé à l’Université de Bretagne Occidentale










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