Pour une recherche en cancérologie moderne et juste : tribune libre de Véronique Trillet-Lenoir

La recherche en cancérologie évolue en France dans un environnement favorable. Les orientations stratégiques impulsées par l’Institut National du Cancer dans le 3e Plan Cancer sont déclinées par sept cancéropôles, puissants relais en régions de la dynamique nationale. Et c’est heureux tant la révolution que traverse la cancérologie aujourd’hui est profonde.

PAR SENIORACTU.COM | Publié le Mardi 7 Avril 2015

L’irruption de nouvelles formes de thérapies nous permet aujourd’hui de traiter le cancer de la plupart des malades avec une précision jamais atteinte. Des innovations techniques et organisationnelles raccourcissent les périodes d’hospitalisation. Mais l’augmentation du nombre de cas de cancers, essentiellement lié au vieillissement de la population, et les contraintes pesant sur notre système de santé constituent un défi particulièrement complexe à relever.
 
La prise en charge du cancer pour l’avenir se décide donc aujourd’hui à travers les choix individuels et collectifs que nous ferons. Et c’est, sans hésitation, en stimulant une recherche qui fasse dialoguer toutes les disciplines scientifiques que nous y parviendrons. Une recherche qui doit d’ailleurs être considérée comme un moteur pour le développement d’une économie de l’innovation sur le territoire. Pour autant, ces objectifs ambitieux n’ont de sens que s’ils bénéficient à tout un chacun, de manière juste, quel que soit son statut social ou son lieu de vie.
 
L’ensemble des dispositifs mis en place depuis 2003 grâce aux Plans Cancers nationaux a fortement contribué, durant les dernières décennies, à l’identification des mécanismes biologiques (moléculaires, immunologiques etc…) impliqués dans la genèse et la progression des tumeurs, et susceptibles d’être contrés par des thérapeutiques inhibitrices spécifiques et sélectives. Nous en sommes ainsi à l’ère de la médecine de précision, basée sur l’identification de mutations spécifiques de chaque tumeur en vue de l’adaptation de plus en plus fine des traitements.
 
Bientôt, l’analyse de l’intégralité du génome et la modélisation des données complexes (« big data ») pourront générer des stratégies d’aide à une décision médicale rendue de plus en plus complexe et hyperspécialisée. Serons-nous pour autant capables d’aborder ce virage de la « techno-médecine »? La réponse tiendra dans notre capacité à briser les cloisonnements entre des chercheurs d’horizon différents (cliniciens, biologistes, mathématiciens, physiciens, chimistes, experts en Sciences Humaines et Sociales…), seule garantie de la mise en commun des compétences, des énergies et des moyens nécessaires à relever un tel défi.
 
Ces bouleversements, parallèlement aux évolutions d’un système de santé qui se résout, lentement mais surement, à assumer les nécessaires mutations pour les intégrer dans son organisation, génèrent de nouveaux scénarii de prise en charge (virage vers l’ambulatoire, une urgence impérieuse de la coordination des acteurs en particulier entre la ville et l’hôpital) et pointent la nécessité de faire émerger de nouveaux métiers (infirmières dites « cliniciennes », bio-informaticiens, …) et de redéfinir les compétences, incluant celles du « savoir profane » des patients dits « ressources ».
 
Il en va de la cancérologie comme des équipes de football. L’Olympique Lyonnais est en 2015 parmi les meilleurs équipes de France en se prêtant moins aux tractations du « mercato », qu’en repérant et en accompagnant en interne ses propres recrues. Formons, soutenons, guidons nos jeunes pousses, créons des « écoles de cancérologie », nous en recueillerons le retour sur investissement de manière plus saine et plus pérenne qu’en nous épuisant à courir après des « Zlatan Ibrahimovic de la science » : ils n’occuperont qu’un temps les chaires d’excellence que nous construirons sur-mesure pour eux avant de revenir nous mettre des buts pour le profit des équipes concurrentes !
 
Sortons des poncifs, de l’analyse médico-économique de café du Commerce : « la Santé n’a pas de prix mais elle a un coût », certes. Et la maladie chronique, donc ! Pourquoi feindre d’ignorer ce que coûtent l’éloignement des actifs de leurs emplois, l’empêchement des mères à s’occuper de leurs enfants, le parcours du combattant de la réinsertion professionnelle, les drames de la désocialisation par la maladie… ?
 
Et plutôt que d’aborder en permanence les dépenses de santé comme un apothicaire ses comptes et d’en réduire l’estimation à la part des molécules dites « onéreuses » regarderons-nous enfin un jour, ce qu’il en coûte de manquer de courage politique pour que s’imposent les règles élémentaires de la prophylaxie du cancer en préférant guérir que prévenir, ce qu’il en coûte de faire l’« économie » d’un médicament bien adapté, même coûteux, pour lui en substituer un ou plusieurs autres, qui, pour être moins chers, resteront pour autant toxiques, générateurs de complications et de ré-hospitalisations humainement et financièrement lourdes, inutiles ?
 
Chiffrerons-nous un jour ce qu’il en coûte, à une société, que de mal se soigner ? Enfin et surtout, quand cesserons-nous d’ignorer le formidable vecteur économique représenté par le gisement d’emplois potentiel, dans le secteur des industries de santé bien sûr, mais aussi celui de services, générées par l’allongement de la durée de la vie sous l’effet des progrès médicaux, la perte d’autonomie d’une population vieillissante, le transfert des activités médicales des établissements de santé vers le domicile ?
 
Mais tout cela, tous ces efforts, n’auront aucun sens s’ils ne sont pas largement et équitablement déployés vers l’ensemble des populations concernées. Si l’excellence, la formation, le développement économique restent l’apanage de la dizaine de centres français de référence, si la mise en réseau avec les établissements de plus petite taille reste lettre morte et la définition des parcours de soins pur affichage démagogique, alors nous aurons raté la cible. Nous aurons même, pire, continué à creuser les inégalités de santé qui se superposent déjà aux inégalités sociales, en ne garantissant qu’aux patients socialement et géographiquement protégés l’accès à la médecine de haute qualité à laquelle tous et toutes doivent pouvoir prétendre.
 
« Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous » Aristote

Pr. Véronique Trillet-Lenoir
​Chef de Service d'Oncologie Médicale, Centre Hospitalier Lyon Sud, Hospices Civils de Lyon. Professeur de Cancérologie, Université Claude Bernard Lyon 1, Université de Lyon Equipe Mixte de Recherche UCBL/HCL 3738 (Ciblage thérapeutique en Oncologie) Présidente du Comité de Direction du Cancéropôle Lyon Auvergne Rhône Alpes (CLARA)
 
Pour plus d’information : www.canceropole-clara.com  










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