Sur les plages du Kenya, on les appelle les « sugar mamas », ces Européennes grâce auxquelles, contre un peu d‘amour, les jeunes Africains assurent leur subsistance.
Teresa, une Autrichienne quinquagénaire et mère d’une fille pubère, passe ses vacances dans ce paradis exotique.
Elle recherche l’amour mais, passant d’un « beachboy » à l’autre et allant ainsi de déception en déception, elle doit bientôt se rendre à l’évidence : sur les plages du Kenya, l’amour est un produit qui se vend.
Ce film d’Ulrich Seidl est le premier volet d’une trilogie dressant le portrait de trois femmes d’une même famille qui, chacune pour soi, passent leurs vacances : l’une part faire du tourisme sexuel (« Paradis : Amour »), l’autre oeuvre comme missionnaire catholique (« Paradis : Foi »), la troisième séjourne dans un camp pour ados en surpoids (« Paradis : Espoir »). Trois femmes, trois façons de passer ses vacances et trois récits d’une envie viscérale de bonheur.
Ulrich Seidl, réalisateur autrichien auquel on doit déjà « Good News », « Dog Days » et « Import Export », avait prévu au départ un seul film, intitulé « Paradis ». Quatre années de travail lui ayant permis de rassembler un matériel de base d’environ quatre-vingts heures de pellicule, il a finalement décidé d‘en faire une trilogie – trois films racontant l’histoire de trois femmes de la même famille.
Teresa, une Autrichienne quinquagénaire et mère d’une fille pubère, passe ses vacances dans ce paradis exotique.
Elle recherche l’amour mais, passant d’un « beachboy » à l’autre et allant ainsi de déception en déception, elle doit bientôt se rendre à l’évidence : sur les plages du Kenya, l’amour est un produit qui se vend.
Ce film d’Ulrich Seidl est le premier volet d’une trilogie dressant le portrait de trois femmes d’une même famille qui, chacune pour soi, passent leurs vacances : l’une part faire du tourisme sexuel (« Paradis : Amour »), l’autre oeuvre comme missionnaire catholique (« Paradis : Foi »), la troisième séjourne dans un camp pour ados en surpoids (« Paradis : Espoir »). Trois femmes, trois façons de passer ses vacances et trois récits d’une envie viscérale de bonheur.
Ulrich Seidl, réalisateur autrichien auquel on doit déjà « Good News », « Dog Days » et « Import Export », avait prévu au départ un seul film, intitulé « Paradis ». Quatre années de travail lui ayant permis de rassembler un matériel de base d’environ quatre-vingts heures de pellicule, il a finalement décidé d‘en faire une trilogie – trois films racontant l’histoire de trois femmes de la même famille.
Beachboys : jeunes Africains qui, sur les plages du Kenya, proposent aux touristes des porte-clés, des balades en bateau ou des safaris afin d’entrer en contact avec des Européennes et de se prostituer. Ils parlent au choix anglais, allemand ou français. Les femmes payent leurs services avec de l’argent ou des cadeaux de valeur (moto, voiture, maison). La plupart des beachboys rêvent d’aller vivre en Europe.
Sugar mama : au Kenya, nom donné aux Européennes qui « entretiennent » de jeunes Africains, c’est-à-dire payent leurs relations sexuelles avec eux.
Baiser mzungu : au Kenya, nom donné au baiser avec la langue des Européens.
Sugar mama : au Kenya, nom donné aux Européennes qui « entretiennent » de jeunes Africains, c’est-à-dire payent leurs relations sexuelles avec eux.
Baiser mzungu : au Kenya, nom donné au baiser avec la langue des Européens.
Interview d’Ulrich Seidl
La trilogie s’appelle « Paradis ». Pourquoi ce titre ?
Le paradis est la promesse d’un bonheur sans fin. Beaucoup de gens associent à ce terme le soleil, la mer, la liberté, l’amour et le sexe, l’industrie du tourisme ne manquant d’ailleurs pas d’exploiter ce filon.
Le titre de la trilogie correspond ainsi parfaitement aux trois histoires racontées dans la mesure où les trois femmes en question cherchent à vivre leurs rêves et à satisfaire leurs passions.
Pourquoi trois films consacrés à trois femmes ?
Parce que, contrairement à ma réputation, j’aime filmer les femmes. La trilogie s’est développée à partir de plusieurs points de départ, notamment mon envie persistante de faire un film consacré aux femmes de cinquante ans et plus, ou encore mon intérêt pour le tourisme de masse.
Avec ma femme Veronika Franz, nous avions développé un scénario sur ce dernier thème, qui racontait six histoires d’Occidentaux passant leurs vacances dans des pays du Tiers-Monde, et qui parlait déjà du tourisme sexuel. Ce scénario est ensuite devenu l’histoire de deux soeurs et de la fille de l’une d’elles. Ces trois femmes en quête d’un homme ne répondent pas aux critères de beauté habituels. En reprenant les termes de Houellebecq ou Jelinek, on pourrait même dire qu’elles sont dévalorisées sur le marché. Ce qui explique qu’elles cherchent à assouvir autrement leur besoin d’amour ou de sexe, notamment avec des Africains.
Quels facteurs déterminants ont conduit à l’ « explosion » du film en une trilogie ?
Nos scénarios sont différents de ce qu’on connaît habituellement. Les scènes y sont décrites en détail, mais les différentes histoires sont conçues comme des nouvelles, c’est-à-dire sans lien entre elles. L’assemblage a seulement lieu lors du montage, ce qui correspond à ma méthode de travail : je pars du principe que réaliser un film consiste moins à exécuter un scénario qu’à prendre en compte les résultats du travail de repérage et les événements survenus lors d’une journée de tournage. Ma méthode consiste également à filmer de manière aussi chronologique que possible et à rester disponible pour toutes les modifications et idées nouvelles.
J’essaye par ailleurs de me fixer un nouvel objectif chaque fois que je commence un film. Dans le cas de « Paradis », mon ambition secrète était de filmer les trois histoires de manière à ce qu’elles puissent exister indépendamment les unes des autres en cas de besoin. Avec pour matériel de base environ quatre-vingts heures de pellicule, nous avons consacré un an et demi au montage et réalisé d’innombrables premières versions de manière à interconnecter les trois histoires ; ce qui a relativement bien marché à certains égards mais a eu pour résultat un film colossal de plus de cinq heures. Ce n’était pas une solution idéale car, au lieu de s’enrichir mutuellement, les trois histoires perdaient de leur impact en étant accolées. De sorte qu’à un certain moment, nous avons compris que la meilleure solution, du point de vue artistique, était de réaliser une trilogie. Mais tout cela n’a guère été facile.
Tourisme sexuel au Kenya, travail d’évangélisation radical à Vienne et camp pour adolescents en surpoids : pourquoi avoir choisi précisément ces trois thèmes ?
Il s‘agit de trois femmes qui sont amoureuses et qui vont être déçues. La plus jeune, celle qui passe ses vacances dans un camp pour ados en surpoids, va connaître un premier amour avec toute son inconditionnalité. Celle qui va au Kenya (la mère de la jeune fille) est en quête d’amour ou de sexe et son voyage est une démarche volontaire après des années de déception amoureuse. Quant à celle qui n’aime que Jésus (la soeur de la seconde héroïne), elle va encore plus loin : ayant transposé sa vie sexuelle dans le domaine spirituel, elle cherche dans le ciel, c’est-à-dire au paradis, ce qu’elle n’a pas trouvé sur Terre.
Encore plus dans le cas du film tourné au Kenya, l’action est très libre et improvisée. Quelle place avez-vous laissée à l’écriture ?
Ce n’est pas tout à fait juste. L’histoire au Kenya était à l’origine la plus longue, celle décrite avec le plus de détails dans le scénario. Les repérages sur place se sont échelonnés sur plus de deux ans mais, comme dans tous mes films, des modifications ont été apportées lors du tournage. Elles ont même été particulièrement profondes dans ce cas précis. Au départ, il était prévu de raconter l’histoire d’une femme ayant déjà un amant au Kenya et y revenant une seconde fois.
Mais après avoir choisi Margarethe Tiesel pour le rôle principal, et avoir répété avec les acteurs africains, j’en suis venu à la conclusion qu’il serait plus intéressant de montrer une femme blanche entrant en contact avec des Africains lors de son premier séjour en Afrique. D’autre part, j’avais retenu deux candidats pour le premier rôle masculin et n’arrivais pas à prendre une décision. Le choix était délicat car il s’agissait de filmer des scènes intimes et physiques qui devaient être authentiques. C’est pourquoi j’ai commencé à tourner avec les deux acteurs, tout en planifiant le tournage du jour suivant d’après les résultats de la journée écoulée. Ce qui n’empêche que nous avons largement respecté le scénario.
Vous travaillez toujours avec un mélange de comédiens professionnels et non professionnels. Ici, est-ce que ce sont les beachboys des plages du Kenya qui sont les non-professionnels ? Comment les avez-vous rencontrés ? Est-ce qu‘il a été difficile de les amener devant la caméra ?
D’abord, il n’a pas été difficile du tout de les rencontrer. Bien au contraire. Il est impossible de ne pas les rencontrer dès qu’on pose le pied sur une plage kényane. On est immédiatement entouré et même assiégé, et ce dans toutes les langues. Le plus délicat a été de trouver les bons acteurs pour le film puis de gagner leur confiance. Il a fallu du temps. Au Kenya, qu’on le veuille ou non, tout est une question d’argent. Un Européen blanc y est considéré par les habitants comme ayant de l’argent et on le traite en conséquence.
Comment est-ce que ça se manifestait concrètement ?
Par exemple, il faut débourser de l’argent simplement pour faire venir un beachboy quelque part (pour un casting). Quand il s’agit d’argent, les Kényans ont une imagination débordante. On pourrait qualifier de mensonges les prétextes auxquels ils ont recours pour nous soutirer de l’argent, mais j’ai appris à y voir plutôt de l’inventivité. Un beachboy kényan considère comme tout à fait normal d’essayer de vous convaincre en l’espace de quelques jours, qu’un membre de sa famille est malade, qu’un autre a été mordu par un serpent, qu’un de ses frères a la malaria ou que sa grand-mère est morte.
Selon quels critères avez-vous choisi les actrices principales (Margarethe Tiesel dans le cas de « Paradis : Amour » ) ?
Je voulais d’emblée engager une actrice professionnelle pour le rôle principal, mais elle devait répondre à toute une gamme d’exigences. Elle devait notamment avoir plus de cinquante ans et ne pas correspondre à l’idéal de beauté occidental, par exemple en étant en surpoids. De plus, pour être compatible avec ma méthode, elle devait être capable d’improviser tout en restant authentique. Et surtout – c’était bien là le plus difficile –, elle devait accepter les scènes de sexe avec de jeunes partenaires africains. Le casting a duré près d’un an et nous avons eu la chance de trouver Margarethe Tiesel.
Plus encore que « Dog Days » et « Import Export », ce film semble affirmer son caractère fictionnel. Partagez-vous cette opinion ?
Non. Ces trois films – je veux parler de « Dog Days », « Import Export » et de la trilogie Paradis –racontent certes des histoires fictives, mais celles-ci sont souvent basées sur des rencontres ou des observations du monde réel. Elles réinventent la réalité.
Corporalité et beauté : qu’associez-vous à ces deux termes ? De plus en plus, vos films me font penser aux tableaux de Lucian Freud…
La corporalité joue toujours un grand rôle dans mes films. J‘aime filmer les acteurs de très près, les montrer tels qu‘ils sont vraiment physiquement, sans maquillage. C‘est dans cette absence d‘artifice que l‘on retrouve une certaine beauté.
La trilogie utilise les termes « Foi, Amour, Espérance », titre d’une pièce d’Ödön von Horváth. Vous êtes-vous inspiré de cet auteur ?
J’étais un admirateur d’Ödön von Horváth dans ma jeunesse. Ses romans et pièces de théâtre ont influencé d’une certaine manière ma façon de vivre et de regarder les gens. Mais Horváth n’a pas eu d’influence directe sur la trilogie Paradis. Ce titre n’a d’ailleurs été fixé de manière définitive que dans la phase finale du montage. Bien qu’on parle maintenant sans cesse d’une trilogie pour le film « Paradis », chacun de ces trois films a des qualités esthétiques et narratives qui lui sont propres.
À quoi cela tient-il selon vous ?
Ma manière de filmer, c’est-à-dire de concevoir les images et leur contenu narratif, se base d’une part sur ce que je trouve sur place, d’autre part sur les circonstances particulières du tournage. L’ambiance de l’histoire à raconter joue dès lors un rôle capital. Au Kenya par exemple, pays bruyant au possible, la mer, les palmiers et la plage confèrent au récit un vernis d’exotisme et de liberté. J’avais auparavant envisagé de tourner en d’autres endroits du monde où l’on trouve également des sugar mamas, notamment en République dominicaine et dans d’autres pays des Caraïbes. J’ai finalement choisi l’Afrique, car la tension sociale qu’on y trouve, ainsi que les blessures héritées de l’époque coloniale m’intéressent. L’Afrique m’a envoûté par sa diversité et ses déchirements, son horreur et sa beauté, sa misère et la richesse provenant du tourisme, celui-ci n’étant d’ailleurs rien d’autre qu’une forme moderne de colonialisme. Pour moi, c’est un continent infiniment inspirant aussi visuellement.
Le paradis est la promesse d’un bonheur sans fin. Beaucoup de gens associent à ce terme le soleil, la mer, la liberté, l’amour et le sexe, l’industrie du tourisme ne manquant d’ailleurs pas d’exploiter ce filon.
Le titre de la trilogie correspond ainsi parfaitement aux trois histoires racontées dans la mesure où les trois femmes en question cherchent à vivre leurs rêves et à satisfaire leurs passions.
Pourquoi trois films consacrés à trois femmes ?
Parce que, contrairement à ma réputation, j’aime filmer les femmes. La trilogie s’est développée à partir de plusieurs points de départ, notamment mon envie persistante de faire un film consacré aux femmes de cinquante ans et plus, ou encore mon intérêt pour le tourisme de masse.
Avec ma femme Veronika Franz, nous avions développé un scénario sur ce dernier thème, qui racontait six histoires d’Occidentaux passant leurs vacances dans des pays du Tiers-Monde, et qui parlait déjà du tourisme sexuel. Ce scénario est ensuite devenu l’histoire de deux soeurs et de la fille de l’une d’elles. Ces trois femmes en quête d’un homme ne répondent pas aux critères de beauté habituels. En reprenant les termes de Houellebecq ou Jelinek, on pourrait même dire qu’elles sont dévalorisées sur le marché. Ce qui explique qu’elles cherchent à assouvir autrement leur besoin d’amour ou de sexe, notamment avec des Africains.
Quels facteurs déterminants ont conduit à l’ « explosion » du film en une trilogie ?
Nos scénarios sont différents de ce qu’on connaît habituellement. Les scènes y sont décrites en détail, mais les différentes histoires sont conçues comme des nouvelles, c’est-à-dire sans lien entre elles. L’assemblage a seulement lieu lors du montage, ce qui correspond à ma méthode de travail : je pars du principe que réaliser un film consiste moins à exécuter un scénario qu’à prendre en compte les résultats du travail de repérage et les événements survenus lors d’une journée de tournage. Ma méthode consiste également à filmer de manière aussi chronologique que possible et à rester disponible pour toutes les modifications et idées nouvelles.
J’essaye par ailleurs de me fixer un nouvel objectif chaque fois que je commence un film. Dans le cas de « Paradis », mon ambition secrète était de filmer les trois histoires de manière à ce qu’elles puissent exister indépendamment les unes des autres en cas de besoin. Avec pour matériel de base environ quatre-vingts heures de pellicule, nous avons consacré un an et demi au montage et réalisé d’innombrables premières versions de manière à interconnecter les trois histoires ; ce qui a relativement bien marché à certains égards mais a eu pour résultat un film colossal de plus de cinq heures. Ce n’était pas une solution idéale car, au lieu de s’enrichir mutuellement, les trois histoires perdaient de leur impact en étant accolées. De sorte qu’à un certain moment, nous avons compris que la meilleure solution, du point de vue artistique, était de réaliser une trilogie. Mais tout cela n’a guère été facile.
Tourisme sexuel au Kenya, travail d’évangélisation radical à Vienne et camp pour adolescents en surpoids : pourquoi avoir choisi précisément ces trois thèmes ?
Il s‘agit de trois femmes qui sont amoureuses et qui vont être déçues. La plus jeune, celle qui passe ses vacances dans un camp pour ados en surpoids, va connaître un premier amour avec toute son inconditionnalité. Celle qui va au Kenya (la mère de la jeune fille) est en quête d’amour ou de sexe et son voyage est une démarche volontaire après des années de déception amoureuse. Quant à celle qui n’aime que Jésus (la soeur de la seconde héroïne), elle va encore plus loin : ayant transposé sa vie sexuelle dans le domaine spirituel, elle cherche dans le ciel, c’est-à-dire au paradis, ce qu’elle n’a pas trouvé sur Terre.
Encore plus dans le cas du film tourné au Kenya, l’action est très libre et improvisée. Quelle place avez-vous laissée à l’écriture ?
Ce n’est pas tout à fait juste. L’histoire au Kenya était à l’origine la plus longue, celle décrite avec le plus de détails dans le scénario. Les repérages sur place se sont échelonnés sur plus de deux ans mais, comme dans tous mes films, des modifications ont été apportées lors du tournage. Elles ont même été particulièrement profondes dans ce cas précis. Au départ, il était prévu de raconter l’histoire d’une femme ayant déjà un amant au Kenya et y revenant une seconde fois.
Mais après avoir choisi Margarethe Tiesel pour le rôle principal, et avoir répété avec les acteurs africains, j’en suis venu à la conclusion qu’il serait plus intéressant de montrer une femme blanche entrant en contact avec des Africains lors de son premier séjour en Afrique. D’autre part, j’avais retenu deux candidats pour le premier rôle masculin et n’arrivais pas à prendre une décision. Le choix était délicat car il s’agissait de filmer des scènes intimes et physiques qui devaient être authentiques. C’est pourquoi j’ai commencé à tourner avec les deux acteurs, tout en planifiant le tournage du jour suivant d’après les résultats de la journée écoulée. Ce qui n’empêche que nous avons largement respecté le scénario.
Vous travaillez toujours avec un mélange de comédiens professionnels et non professionnels. Ici, est-ce que ce sont les beachboys des plages du Kenya qui sont les non-professionnels ? Comment les avez-vous rencontrés ? Est-ce qu‘il a été difficile de les amener devant la caméra ?
D’abord, il n’a pas été difficile du tout de les rencontrer. Bien au contraire. Il est impossible de ne pas les rencontrer dès qu’on pose le pied sur une plage kényane. On est immédiatement entouré et même assiégé, et ce dans toutes les langues. Le plus délicat a été de trouver les bons acteurs pour le film puis de gagner leur confiance. Il a fallu du temps. Au Kenya, qu’on le veuille ou non, tout est une question d’argent. Un Européen blanc y est considéré par les habitants comme ayant de l’argent et on le traite en conséquence.
Comment est-ce que ça se manifestait concrètement ?
Par exemple, il faut débourser de l’argent simplement pour faire venir un beachboy quelque part (pour un casting). Quand il s’agit d’argent, les Kényans ont une imagination débordante. On pourrait qualifier de mensonges les prétextes auxquels ils ont recours pour nous soutirer de l’argent, mais j’ai appris à y voir plutôt de l’inventivité. Un beachboy kényan considère comme tout à fait normal d’essayer de vous convaincre en l’espace de quelques jours, qu’un membre de sa famille est malade, qu’un autre a été mordu par un serpent, qu’un de ses frères a la malaria ou que sa grand-mère est morte.
Selon quels critères avez-vous choisi les actrices principales (Margarethe Tiesel dans le cas de « Paradis : Amour » ) ?
Je voulais d’emblée engager une actrice professionnelle pour le rôle principal, mais elle devait répondre à toute une gamme d’exigences. Elle devait notamment avoir plus de cinquante ans et ne pas correspondre à l’idéal de beauté occidental, par exemple en étant en surpoids. De plus, pour être compatible avec ma méthode, elle devait être capable d’improviser tout en restant authentique. Et surtout – c’était bien là le plus difficile –, elle devait accepter les scènes de sexe avec de jeunes partenaires africains. Le casting a duré près d’un an et nous avons eu la chance de trouver Margarethe Tiesel.
Plus encore que « Dog Days » et « Import Export », ce film semble affirmer son caractère fictionnel. Partagez-vous cette opinion ?
Non. Ces trois films – je veux parler de « Dog Days », « Import Export » et de la trilogie Paradis –racontent certes des histoires fictives, mais celles-ci sont souvent basées sur des rencontres ou des observations du monde réel. Elles réinventent la réalité.
Corporalité et beauté : qu’associez-vous à ces deux termes ? De plus en plus, vos films me font penser aux tableaux de Lucian Freud…
La corporalité joue toujours un grand rôle dans mes films. J‘aime filmer les acteurs de très près, les montrer tels qu‘ils sont vraiment physiquement, sans maquillage. C‘est dans cette absence d‘artifice que l‘on retrouve une certaine beauté.
La trilogie utilise les termes « Foi, Amour, Espérance », titre d’une pièce d’Ödön von Horváth. Vous êtes-vous inspiré de cet auteur ?
J’étais un admirateur d’Ödön von Horváth dans ma jeunesse. Ses romans et pièces de théâtre ont influencé d’une certaine manière ma façon de vivre et de regarder les gens. Mais Horváth n’a pas eu d’influence directe sur la trilogie Paradis. Ce titre n’a d’ailleurs été fixé de manière définitive que dans la phase finale du montage. Bien qu’on parle maintenant sans cesse d’une trilogie pour le film « Paradis », chacun de ces trois films a des qualités esthétiques et narratives qui lui sont propres.
À quoi cela tient-il selon vous ?
Ma manière de filmer, c’est-à-dire de concevoir les images et leur contenu narratif, se base d’une part sur ce que je trouve sur place, d’autre part sur les circonstances particulières du tournage. L’ambiance de l’histoire à raconter joue dès lors un rôle capital. Au Kenya par exemple, pays bruyant au possible, la mer, les palmiers et la plage confèrent au récit un vernis d’exotisme et de liberté. J’avais auparavant envisagé de tourner en d’autres endroits du monde où l’on trouve également des sugar mamas, notamment en République dominicaine et dans d’autres pays des Caraïbes. J’ai finalement choisi l’Afrique, car la tension sociale qu’on y trouve, ainsi que les blessures héritées de l’époque coloniale m’intéressent. L’Afrique m’a envoûté par sa diversité et ses déchirements, son horreur et sa beauté, sa misère et la richesse provenant du tourisme, celui-ci n’étant d’ailleurs rien d’autre qu’une forme moderne de colonialisme. Pour moi, c’est un continent infiniment inspirant aussi visuellement.