Rappelons rapidement les objectifs de cette opération : la rédaction d'une lettre, individuelle ou collective, représente pour les personnes âgées une opportunité d'expression personnelle sur un sujet qui leur est cher.
Il ne s'agit pas uniquement de récits de souvenirs, mais de l'expression libre de leurs opinions, attentes, critiques.
Dans ce contexte, « Lettre à… » permet de rompre l'isolement, de maintenir le lien social, d'être à l'origine de liens intergénérationnels puisque ces lettres sont lues par tous, y compris les plus jeunes.
Les auteurs peuvent ainsi transmettre par écrit leurs réflexions et idées et contribuer à améliorer les relations entre les générations, comme le regard que la société porte sur les personnes âgées.
Résidants en établissements, personnes âgées à domicile et connues des services d'aide à domicile, habitués des foyers-clubs, tous ont été appelés à témoigner en participant à cette opération nationale.
Pour cette 8ème édition, 402 lettres ont été rédigées et neuf ont été primées.
Une très large majorité des participants (95%) résident en établissements. Les plus de 80 ans représentent 61,7% des auteurs et 19,4% d'entre eux ont plus de 90 ans. Sans surprise et conformément aux données démographiques les femmes dominent largement (76,6%) et plus de 52% des écrivains ont un statut de veuves ou de veufs. Plus de la moitié (55,5%) a exercé des professions intermédiaires et des fonctions d'employés.
De quoi parlent ces lettres ?
Les trois quarts de ces lettres (75,8%) sont des récits simples. Pour les auteurs, il s'agit de transmettre (30,9%), de se raconter (27,2%) et dire son affection (24%) à des membres de son entourage familial ; les destinataires appartenant à la sphère familiale et au cercle relationnel proche étant majoritaires (59,1%).
Un tiers (30%) des lettres se conjugue au passé et au présent, 27% au passé seul et un quart (24,4%) au présent seul ; le futur étant peu investi ou donne lieu à des souhaits par rapport au passé et/ou au présent. Parmi les thématiques, la vie familiale arrivent en tête avec un léger avantage pour la vie familiale passée (17,6%) par rapport à l'évocation du présent (15,4%).
Quelle est la tonalité des lettres ?
Le plaisir (39,3%) et l'humour (3,5%) sont les tonalités majeures, même si souffrance distanciée (17,5%), résignation (11,6%) et plaintes (4,7%) teintent trop souvent ces récits. La souffrance forte n'est que de 3,2%. En dépit de cela, le rapport à la vie, quelle que soit la temporalité, est positif (48,9%).
Le lancement de la nouvelle édition aura lieu en janvier 2009
Il ne s'agit pas uniquement de récits de souvenirs, mais de l'expression libre de leurs opinions, attentes, critiques.
Dans ce contexte, « Lettre à… » permet de rompre l'isolement, de maintenir le lien social, d'être à l'origine de liens intergénérationnels puisque ces lettres sont lues par tous, y compris les plus jeunes.
Les auteurs peuvent ainsi transmettre par écrit leurs réflexions et idées et contribuer à améliorer les relations entre les générations, comme le regard que la société porte sur les personnes âgées.
Résidants en établissements, personnes âgées à domicile et connues des services d'aide à domicile, habitués des foyers-clubs, tous ont été appelés à témoigner en participant à cette opération nationale.
Pour cette 8ème édition, 402 lettres ont été rédigées et neuf ont été primées.
Une très large majorité des participants (95%) résident en établissements. Les plus de 80 ans représentent 61,7% des auteurs et 19,4% d'entre eux ont plus de 90 ans. Sans surprise et conformément aux données démographiques les femmes dominent largement (76,6%) et plus de 52% des écrivains ont un statut de veuves ou de veufs. Plus de la moitié (55,5%) a exercé des professions intermédiaires et des fonctions d'employés.
De quoi parlent ces lettres ?
Les trois quarts de ces lettres (75,8%) sont des récits simples. Pour les auteurs, il s'agit de transmettre (30,9%), de se raconter (27,2%) et dire son affection (24%) à des membres de son entourage familial ; les destinataires appartenant à la sphère familiale et au cercle relationnel proche étant majoritaires (59,1%).
Un tiers (30%) des lettres se conjugue au passé et au présent, 27% au passé seul et un quart (24,4%) au présent seul ; le futur étant peu investi ou donne lieu à des souhaits par rapport au passé et/ou au présent. Parmi les thématiques, la vie familiale arrivent en tête avec un léger avantage pour la vie familiale passée (17,6%) par rapport à l'évocation du présent (15,4%).
Quelle est la tonalité des lettres ?
Le plaisir (39,3%) et l'humour (3,5%) sont les tonalités majeures, même si souffrance distanciée (17,5%), résignation (11,6%) et plaintes (4,7%) teintent trop souvent ces récits. La souffrance forte n'est que de 3,2%. En dépit de cela, le rapport à la vie, quelle que soit la temporalité, est positif (48,9%).
Le lancement de la nouvelle édition aura lieu en janvier 2009
« Lettre à… » 2008 – Fondation Nationale de Gérontologie : les nominés 2008
• Prix « coup de cœur » ex æquo, Lettre à… 2008
Femme, 86 ans
Au Lieutenant Alain C, 128e R.I.
Alain chéri,
En me quittant sur le quai de la gare (après m'avoir serrée si fort contre vous que j'en frôlais l'apnée), vous m'avez murmuré à l'oreille : « Je vous en supplie, faites-moi l'aumône de quelques lignes… ». Requête inutile, Alain bien-aimé ; dès votre train disparu, j'ai volé (oui, c'est vrai, mes pieds ne touchaient pas le sol !) jusqu'à la maison, jusqu'à ma chambre pour sortir le papier à lettres et revenir vers vous pour poursuivre notre tendre dialogue. Vous m'avez avoué votre amour, en vous inquiétant de la réciprocité. Alain, comment pouvez-vous douter de mes sentiments ? Oui, je vous aime ; oui, j'accepte de devenir votre femme ; oui, je serai la mère de vos enfants ; oui, telle Pénélope, j'attendrai jusqu'à ce que se termine cette stupide guerre.
Alain chéri, je guette avec impatience votre prochaine permission : ce sera en avril ; je vous emmènerai alors dans un joli petit bois, près de Douai, où fleurissent au printemps, les anémones blanches et roses, suivies des jacinthes sauvages ; le sous-bois est alors bleu et parfumé. Nous nous y promènerons main dans la main, en évoquant la date de notre mariage et le nom de nos futurs enfants (pas plus de deux !). Vous me rappellerez que vous m'avez aimée le premier jour de notre rencontre, alors que je rentrais de pension, dans un uniforme affreux, avec des bas noirs (en laine). Merci de votre indulgence !…
Alain chéri, je vous en supplie (à mon tour !), ne jouez pas au héros, j'ai tant besoin de vous ! Que m'importent les honneurs, les médailles, la gloriole ! Revenez vite, que nous puissions, enfin, poursuivre notre joli conte.
N'allez surtout pas pendre votre linge sur la ligne Ziegfried ! Dans mon jardin, entre le lilas et l'hibiscus, existe un fil de fer (inoxydable !) sur lequel vous pourrez étendre votre lessive en toute sécurité !
Alain, les jours qui nous séparent vont me paraître plus longs que des années ; je vous écrirai chaque matin, c'est promis et guetterai tout le jour le passage du facteur. Par pitié, mon amour, pas de zèle, je ne vis que par vous !
A demain, je vous aime.
S.
Douai, 4 janvier 1940
Le Lieutenant Alain C. a été tué le 13 avril 1940, en mission de reconnaissance. Nous n'irons plus au bois !…
• Prix « coup de cœur » ex æquo, Lettre à… 2008
Homme, 88 ans
A mes chers Cousins
Ne soyez pas surpris par mes dernières dispositions que vous fera connaître mon notaire. Ce ne sera pas avec la solennité des romans mais tout simplement par une correspondance. Vous êtes si nombreux, et vous continuez à « multiplier », qu'une fois les droits et frais réglés il ne resterait pas grand chose : au mieux de tous faire en famille un bon repas, mais ne choisissez pas un « Bocuse » car ça ne suffirait pas.
C'est pourquoi, sur l'avis de mon notaire (et c'était mon opinion), la maison de retraite sera ma légataire universelle. J'ai apprécié son accueil et espère y finir mes jours. Et cela permettra encore de pouvoir apporter des améliorations. Au surplus, vous ne serez pas totalement oubliés. Rassurez-vous, vous ne serez pas obligés de prier pour moi, bien que, j'en aurais peut-être grand besoin !!!
En attendant, bons baisers et à bientôt.
Votre cousin.
• Prix « réflexion/transmission » ex æquo, Lettre à… 2008
Eva, 88 ans
A la Nature
La première des choses : je te demande pardon pour tout le mal que l'on te fait. Les rivières et l'air sont pollués, les vieilles maisons sont détruites et remplacées par des HLM sans âme. Tu dois te défendre contre l'attaque polluante des voitures, des camions qui sont de plus en plus nombreux.
J'ai été effrayée de voir que les petits chemins d'autrefois avaient fait place à des autoroutes polluantes, que les sources d'eau claire sentaient maintenant le mazout. La pollution me fait peur, parce que qui pollue détruit quelque chose. J'ai été étonnée de retrouver encore des asters au milieu du goudron, preuve que tu te défends, que malgré tout, tu tiens le coup.
Ces petits asters blancs et bleus, je ne les ai pas cueillis, je les ai admirés et ils ont parlé à mon âme.
Il faut savoir se contenter de peu maintenant pour garder une joie intérieure. Respirer le parfum d'une fleur. Voir des petites souris, qui n'ont pas peur de l'homme, venir manger les miettes de mon goûter. Admirer les reflets d'un soleil couchant. Et surtout, profiter du calme du soir. Merci à toi Nature pour les joies que tu m'apportes.
Eva
• Prix « reflexion/transmission » ex æquo, Lettre à… 2008
Irène, 75 ans
A une amie
Depuis que je ne travaille plus, je lis davantage et j'époussette moins. Je m'assois dans ma cour et j'admire le paysage sans me préoccuper des mauvaises herbes dans le jardin. Je consacre plus de temps à ma famille et à mes amis. Le plus souvent possible, la vie devrait être composée d'expériences à savourer et non à endurer. J'essaie maintenant de reconnaître ces moments et de les apprécier. Je ne conserve rien : j'utilise la vaisselle des jours de fête pour toutes les occasions. Je porte mon ensemble pour faire mes courses.
« Un jour » et « un de ces jours » sont des mots que j'ai bannis de mon vocabulaire. Si c'est quelque chose qu'il vaut la peine de voir, d'entendre ou de faire, je veux le voir, l'entendre ou le faire maintenant. J'essaie de toutes mes forces de ne pas remettre à plus tard ou me priver de faire des choses qui ajoutent de la gaieté et de l'éclat à ma vie. Et, chaque matin quand j'ouvre les yeux, je me dis que c'est un jour spécial.
Ton amie
• Prix « Témoignage de reconnaissance et d’affection », Lettre à… 2008
Marie-Rose, 87 ans
A Marie-Thérèse
Je l'ai rencontrée ici, en mangeant, elle mange à la même table que moi. Ça fait au moins cinq ans. On se retrouvait dans le salon après manger. Marie-Thérèse, je l'aime bien, j'aimerais qu'un jour on puisse partir d'ici et se retrouver chez elle parce qu'on serait plus libre qu'ici. J'ai une grande amitié pour elle et la considère comme une sœur que je n'ai jamais eue et que j'aime bien. Elle m'apporte l'espoir de vivre encore quelques années en sa compagnie par sa présence. Ici on a vite fait le tour des amis.
Quelques balades que nous avons faites dans le parc, on parle de tout et de rien, ce qu'on a mangé au repas, c'est médiocre d'ailleurs, les gens ne nous importent pas. Chacun fait ce qu'il veut, et couche avec son vieux ! Ça peut-être que des vieux de toutes façons. Par exemple, on allait ramasser des poires dans un grand parc, l'année dernière, c'était sympa. On était plusieurs mais toutes les deux parce qu'on se tient toujours ensemble. Elle, elle tenait le sac plastique et moi je ramassais les pommes et les poires.
On ne s'offre pas spécialement de cadeaux pour nos anniversaires, des fleurs c'est tout. On chante quand l'occasion se présente et on parle du passé.
Moi j'étais une enfant abandonnée et j'en ai souffert, pas dans ma jeunesse, mais après. C'est triste de ne pas connaître ses parents. D'après mes recherches, j'avais un peu plus de 22 ans, ma mère était la fille d'un industriel du nord de Lille. Et à l'époque, c'était une honte d'avoir un enfant sans être mariée. Donc ma grand-mère m'a abandonnée, parce que c'était elle qui ne voulait pas me garder. Ce qui m'a incité à faire ces recherches, ce sont mes enfants qui étaient très intelligents, et comme mon mari était un bon mari, mais était limité. De son côté, c'était une intelligence moyenne, ça ne pouvait venir que de mon côté.
Elle parle très peu d'elle Marie-Thérèse, je connais qu'elle a travaillé 30 ans aux PTT à Tours, elle a fait sa carrière. Elle n'a pas d'enfants parce qu'elle ne s'est jamais mariée. Mais on n'en parle pas souvent parce que c'est délicat. C'est moi la bavarde, et bien sûr, elle m'écoute. Moi, je n'ose pas lui poser de questions, c'est délicat.
On s'entraide toutes les deux. Je lui prépare son lit, lui fait ses couvertures, des petits détails comme ça, sans plus. On se tient compagnie mutuellement. Ca fait cinq ans qu'elle me dit qu'on va partir chez elle mais elle est toujours là. Je sais que si j'avais un petit chez moi comme elle, ça ferait longtemps que j'y serais partie.
Sans elle, je m'ennuierais sûrement, parce qu'ici on a vite fait le tour des amis. Je m'ennuierais parce que je ne vois pas avec qui je pourrais faire connaissance. Je peux dire que je l'aime bien, c'est tout. Amicalement, je l'embrasse très fort.
On s'entend mieux que certaines sœurs qui ne s'entendent pas.
Marie-Rose y fait un gros bisou.
• Prix « confidence », Lettre à… 2008
Appoline, 80 ans
A tous ceux qui entendent mes SOS
Le temps se double, les gestes se ralentissent, c'est comme si le temps s'était arrêté à une période trop noire pour moi. J'ai de plus en plus de mal à effectuer des tâches habituelles, de plus en plus de mal à être comprise, de plus en plus de mal à être aimée. Je ne me sens plus regardée autant qu'avant, c'est comme si les personnes qui m'entourent au quotidien deviennent toutes éphémères. Je sais bien qu'avec mes kilos en moins, je me fonds davantage dans le décor ; je me demande sans cesse si l'on me voit dans ce siège en osier qui ressemble alors au Trou de Calcutta où je me perds de plus en plus, jour après jour. Je voudrais me retrouver face à la mer pour y jeter tous mes SOS ; pour qu'ils soient perdus à jamais, qu'ils ne reviennent sur terre.
Je voudrais me casser la voix pour vous crier mon désarroi jusqu'à ce que vous arriviez à moi…
Si seulement si, si seulement si… Aidez-moi à remonter cette interminable pente
• Prix « écriture », Lettre à… 2008
Anna, 93 ans
A Madame la Lune
Bonsoir Madame la Lune, c'est une vieille amie qui vient vous voir ce soir, et qui va vous dire quelques souvenirs de sa jeunesse, voilà quand vous êtes un beau croissant, vous réveillez ma gourmandise, ces bons croissants chauds au petit déjeuner, puis on dit que vous changez de quartier, nous arrivons à votre resplendissant disque d'argent, quand j'étais jeune à force de vous regarder il me semblait que vous preniez forme de visage et je voyais des yeux et une bouche qui me souriaient, mais voilà que le progrès arrive, des hommes très intelligents ont voulu aller voir ce qui se passait dans votre royaume, on envoie des satellites tourner autour de la terre, mais depuis ces moments-là, on a tout détraqué, l'atmosphère n'est plus la même, avant on avait les quatre saisons, je vous le rappelle si vous n'étiez pas au courant, le printemps, l'été, l'automne et l'hiver, maintenant il n'y a plus de saisons, voilà où le progrès nous a conduit, il y aurait bien d'autres choses à dire mais je ne veux pas vous fatiguer par mes jérémiades, mais je souhaite Madame la Lune que cela ne vous empêchera pas de bien nous éclairer pendant quelques millions d'années. Je me permets de vous faire de gros bisous sur votre croissant.
• Prix « speciale » ex æquo, Lettre à… 2008
Louise, 90 ans
Je m'appelle J., Louise J.
Je suis là depuis très longtemps. J'ai ma chambre au 3e étage. Je suis bien contente, je suis pas toute seule. Je suis bien nourrie. J'ai appris le métier de couturière. Je voulais faire les femmes mais ma grand-mère n'a pas voulu alors comme j'avais un petit frère, j'ai appris le métier de culottière. Mon mari, je crois qu'il est mort et mon fils, je ne sais plus si je l'ai toujours. J'ai la mémoire qui fond complètement. Je suis toute seule maintenant, je suis perdue.
Je suis au 3e étage car j'ai dit que je voulais être en l'air et pas par terre.
• Prix « special » ex æquo, Lettre à… 2008
Jeanne, 84 ans
A tous mes Jules
Veuve, belle femme aux rondeurs épanouies, me voici inscrite à ce que l'on pourrait appeler « la liste des vieux ». Je vous avertis, à la résidence, je ne mange pas trop pour ne pas vous écœurer devant une bouteille d'Orangina où comme moi toute la pulpe reste en bas !
Ne vous trompez pas de chambre car mes voisines ont parfois dû recevoir un coup sur le ciboulot, mais qui n'en a jamais reçu ?
Comme l'adage le dit si bien, plus on est de fous et plus on rit !
Que l'on soit vieux, jeunes, experts ou idiots, nous sommes tous à la même enseigne… Comme tout le monde, il nous faut payer les impôts et au final on est tous fauchés comme les blés ! Donc que vous soyez pauvres, riches, jeunes ou vieux, ce n'est pas votre porte-monnaie qui m'intéresse mais votre Q.I…
Parfois j'ai des moments de nostalgie qui me font perdre les pédales…
Ne soyez pas choqués de me voir barbouillée de rouge à lèvres confondant ma bouche et le nez. Mais croyez-moi, la maladie d'Alzheimer n'est pas une fatalité. Tout comme moi, vous vous prendrez à rire quand je mettrai mon soutien-gorge à l'envers et ma culotte sur la tête !!!
L'avantage que j'ai par rapport aux autres femmes est que si un jour vous me faites infidélité, le lendemain sera chose oubliée. Je passerai alors mes nerfs sur mon amant, qui n'est autre que la peluche de mon arrière-petit-enfant. Il est le reflet de mon homme idéal, doux, qui ne ronfle pas…
Alors si vous vous sentez à la hauteur de mes attentes, vous n'avez qu'à demander Jeanne, la femme au cœur qui rit…
Consulter l'intégralité des Lettres primées sur www.fng.fr
Femme, 86 ans
Au Lieutenant Alain C, 128e R.I.
Alain chéri,
En me quittant sur le quai de la gare (après m'avoir serrée si fort contre vous que j'en frôlais l'apnée), vous m'avez murmuré à l'oreille : « Je vous en supplie, faites-moi l'aumône de quelques lignes… ». Requête inutile, Alain bien-aimé ; dès votre train disparu, j'ai volé (oui, c'est vrai, mes pieds ne touchaient pas le sol !) jusqu'à la maison, jusqu'à ma chambre pour sortir le papier à lettres et revenir vers vous pour poursuivre notre tendre dialogue. Vous m'avez avoué votre amour, en vous inquiétant de la réciprocité. Alain, comment pouvez-vous douter de mes sentiments ? Oui, je vous aime ; oui, j'accepte de devenir votre femme ; oui, je serai la mère de vos enfants ; oui, telle Pénélope, j'attendrai jusqu'à ce que se termine cette stupide guerre.
Alain chéri, je guette avec impatience votre prochaine permission : ce sera en avril ; je vous emmènerai alors dans un joli petit bois, près de Douai, où fleurissent au printemps, les anémones blanches et roses, suivies des jacinthes sauvages ; le sous-bois est alors bleu et parfumé. Nous nous y promènerons main dans la main, en évoquant la date de notre mariage et le nom de nos futurs enfants (pas plus de deux !). Vous me rappellerez que vous m'avez aimée le premier jour de notre rencontre, alors que je rentrais de pension, dans un uniforme affreux, avec des bas noirs (en laine). Merci de votre indulgence !…
Alain chéri, je vous en supplie (à mon tour !), ne jouez pas au héros, j'ai tant besoin de vous ! Que m'importent les honneurs, les médailles, la gloriole ! Revenez vite, que nous puissions, enfin, poursuivre notre joli conte.
N'allez surtout pas pendre votre linge sur la ligne Ziegfried ! Dans mon jardin, entre le lilas et l'hibiscus, existe un fil de fer (inoxydable !) sur lequel vous pourrez étendre votre lessive en toute sécurité !
Alain, les jours qui nous séparent vont me paraître plus longs que des années ; je vous écrirai chaque matin, c'est promis et guetterai tout le jour le passage du facteur. Par pitié, mon amour, pas de zèle, je ne vis que par vous !
A demain, je vous aime.
S.
Douai, 4 janvier 1940
Le Lieutenant Alain C. a été tué le 13 avril 1940, en mission de reconnaissance. Nous n'irons plus au bois !…
• Prix « coup de cœur » ex æquo, Lettre à… 2008
Homme, 88 ans
A mes chers Cousins
Ne soyez pas surpris par mes dernières dispositions que vous fera connaître mon notaire. Ce ne sera pas avec la solennité des romans mais tout simplement par une correspondance. Vous êtes si nombreux, et vous continuez à « multiplier », qu'une fois les droits et frais réglés il ne resterait pas grand chose : au mieux de tous faire en famille un bon repas, mais ne choisissez pas un « Bocuse » car ça ne suffirait pas.
C'est pourquoi, sur l'avis de mon notaire (et c'était mon opinion), la maison de retraite sera ma légataire universelle. J'ai apprécié son accueil et espère y finir mes jours. Et cela permettra encore de pouvoir apporter des améliorations. Au surplus, vous ne serez pas totalement oubliés. Rassurez-vous, vous ne serez pas obligés de prier pour moi, bien que, j'en aurais peut-être grand besoin !!!
En attendant, bons baisers et à bientôt.
Votre cousin.
• Prix « réflexion/transmission » ex æquo, Lettre à… 2008
Eva, 88 ans
A la Nature
La première des choses : je te demande pardon pour tout le mal que l'on te fait. Les rivières et l'air sont pollués, les vieilles maisons sont détruites et remplacées par des HLM sans âme. Tu dois te défendre contre l'attaque polluante des voitures, des camions qui sont de plus en plus nombreux.
J'ai été effrayée de voir que les petits chemins d'autrefois avaient fait place à des autoroutes polluantes, que les sources d'eau claire sentaient maintenant le mazout. La pollution me fait peur, parce que qui pollue détruit quelque chose. J'ai été étonnée de retrouver encore des asters au milieu du goudron, preuve que tu te défends, que malgré tout, tu tiens le coup.
Ces petits asters blancs et bleus, je ne les ai pas cueillis, je les ai admirés et ils ont parlé à mon âme.
Il faut savoir se contenter de peu maintenant pour garder une joie intérieure. Respirer le parfum d'une fleur. Voir des petites souris, qui n'ont pas peur de l'homme, venir manger les miettes de mon goûter. Admirer les reflets d'un soleil couchant. Et surtout, profiter du calme du soir. Merci à toi Nature pour les joies que tu m'apportes.
Eva
• Prix « reflexion/transmission » ex æquo, Lettre à… 2008
Irène, 75 ans
A une amie
Depuis que je ne travaille plus, je lis davantage et j'époussette moins. Je m'assois dans ma cour et j'admire le paysage sans me préoccuper des mauvaises herbes dans le jardin. Je consacre plus de temps à ma famille et à mes amis. Le plus souvent possible, la vie devrait être composée d'expériences à savourer et non à endurer. J'essaie maintenant de reconnaître ces moments et de les apprécier. Je ne conserve rien : j'utilise la vaisselle des jours de fête pour toutes les occasions. Je porte mon ensemble pour faire mes courses.
« Un jour » et « un de ces jours » sont des mots que j'ai bannis de mon vocabulaire. Si c'est quelque chose qu'il vaut la peine de voir, d'entendre ou de faire, je veux le voir, l'entendre ou le faire maintenant. J'essaie de toutes mes forces de ne pas remettre à plus tard ou me priver de faire des choses qui ajoutent de la gaieté et de l'éclat à ma vie. Et, chaque matin quand j'ouvre les yeux, je me dis que c'est un jour spécial.
Ton amie
• Prix « Témoignage de reconnaissance et d’affection », Lettre à… 2008
Marie-Rose, 87 ans
A Marie-Thérèse
Je l'ai rencontrée ici, en mangeant, elle mange à la même table que moi. Ça fait au moins cinq ans. On se retrouvait dans le salon après manger. Marie-Thérèse, je l'aime bien, j'aimerais qu'un jour on puisse partir d'ici et se retrouver chez elle parce qu'on serait plus libre qu'ici. J'ai une grande amitié pour elle et la considère comme une sœur que je n'ai jamais eue et que j'aime bien. Elle m'apporte l'espoir de vivre encore quelques années en sa compagnie par sa présence. Ici on a vite fait le tour des amis.
Quelques balades que nous avons faites dans le parc, on parle de tout et de rien, ce qu'on a mangé au repas, c'est médiocre d'ailleurs, les gens ne nous importent pas. Chacun fait ce qu'il veut, et couche avec son vieux ! Ça peut-être que des vieux de toutes façons. Par exemple, on allait ramasser des poires dans un grand parc, l'année dernière, c'était sympa. On était plusieurs mais toutes les deux parce qu'on se tient toujours ensemble. Elle, elle tenait le sac plastique et moi je ramassais les pommes et les poires.
On ne s'offre pas spécialement de cadeaux pour nos anniversaires, des fleurs c'est tout. On chante quand l'occasion se présente et on parle du passé.
Moi j'étais une enfant abandonnée et j'en ai souffert, pas dans ma jeunesse, mais après. C'est triste de ne pas connaître ses parents. D'après mes recherches, j'avais un peu plus de 22 ans, ma mère était la fille d'un industriel du nord de Lille. Et à l'époque, c'était une honte d'avoir un enfant sans être mariée. Donc ma grand-mère m'a abandonnée, parce que c'était elle qui ne voulait pas me garder. Ce qui m'a incité à faire ces recherches, ce sont mes enfants qui étaient très intelligents, et comme mon mari était un bon mari, mais était limité. De son côté, c'était une intelligence moyenne, ça ne pouvait venir que de mon côté.
Elle parle très peu d'elle Marie-Thérèse, je connais qu'elle a travaillé 30 ans aux PTT à Tours, elle a fait sa carrière. Elle n'a pas d'enfants parce qu'elle ne s'est jamais mariée. Mais on n'en parle pas souvent parce que c'est délicat. C'est moi la bavarde, et bien sûr, elle m'écoute. Moi, je n'ose pas lui poser de questions, c'est délicat.
On s'entraide toutes les deux. Je lui prépare son lit, lui fait ses couvertures, des petits détails comme ça, sans plus. On se tient compagnie mutuellement. Ca fait cinq ans qu'elle me dit qu'on va partir chez elle mais elle est toujours là. Je sais que si j'avais un petit chez moi comme elle, ça ferait longtemps que j'y serais partie.
Sans elle, je m'ennuierais sûrement, parce qu'ici on a vite fait le tour des amis. Je m'ennuierais parce que je ne vois pas avec qui je pourrais faire connaissance. Je peux dire que je l'aime bien, c'est tout. Amicalement, je l'embrasse très fort.
On s'entend mieux que certaines sœurs qui ne s'entendent pas.
Marie-Rose y fait un gros bisou.
• Prix « confidence », Lettre à… 2008
Appoline, 80 ans
A tous ceux qui entendent mes SOS
Le temps se double, les gestes se ralentissent, c'est comme si le temps s'était arrêté à une période trop noire pour moi. J'ai de plus en plus de mal à effectuer des tâches habituelles, de plus en plus de mal à être comprise, de plus en plus de mal à être aimée. Je ne me sens plus regardée autant qu'avant, c'est comme si les personnes qui m'entourent au quotidien deviennent toutes éphémères. Je sais bien qu'avec mes kilos en moins, je me fonds davantage dans le décor ; je me demande sans cesse si l'on me voit dans ce siège en osier qui ressemble alors au Trou de Calcutta où je me perds de plus en plus, jour après jour. Je voudrais me retrouver face à la mer pour y jeter tous mes SOS ; pour qu'ils soient perdus à jamais, qu'ils ne reviennent sur terre.
Je voudrais me casser la voix pour vous crier mon désarroi jusqu'à ce que vous arriviez à moi…
Si seulement si, si seulement si… Aidez-moi à remonter cette interminable pente
• Prix « écriture », Lettre à… 2008
Anna, 93 ans
A Madame la Lune
Bonsoir Madame la Lune, c'est une vieille amie qui vient vous voir ce soir, et qui va vous dire quelques souvenirs de sa jeunesse, voilà quand vous êtes un beau croissant, vous réveillez ma gourmandise, ces bons croissants chauds au petit déjeuner, puis on dit que vous changez de quartier, nous arrivons à votre resplendissant disque d'argent, quand j'étais jeune à force de vous regarder il me semblait que vous preniez forme de visage et je voyais des yeux et une bouche qui me souriaient, mais voilà que le progrès arrive, des hommes très intelligents ont voulu aller voir ce qui se passait dans votre royaume, on envoie des satellites tourner autour de la terre, mais depuis ces moments-là, on a tout détraqué, l'atmosphère n'est plus la même, avant on avait les quatre saisons, je vous le rappelle si vous n'étiez pas au courant, le printemps, l'été, l'automne et l'hiver, maintenant il n'y a plus de saisons, voilà où le progrès nous a conduit, il y aurait bien d'autres choses à dire mais je ne veux pas vous fatiguer par mes jérémiades, mais je souhaite Madame la Lune que cela ne vous empêchera pas de bien nous éclairer pendant quelques millions d'années. Je me permets de vous faire de gros bisous sur votre croissant.
• Prix « speciale » ex æquo, Lettre à… 2008
Louise, 90 ans
Je m'appelle J., Louise J.
Je suis là depuis très longtemps. J'ai ma chambre au 3e étage. Je suis bien contente, je suis pas toute seule. Je suis bien nourrie. J'ai appris le métier de couturière. Je voulais faire les femmes mais ma grand-mère n'a pas voulu alors comme j'avais un petit frère, j'ai appris le métier de culottière. Mon mari, je crois qu'il est mort et mon fils, je ne sais plus si je l'ai toujours. J'ai la mémoire qui fond complètement. Je suis toute seule maintenant, je suis perdue.
Je suis au 3e étage car j'ai dit que je voulais être en l'air et pas par terre.
• Prix « special » ex æquo, Lettre à… 2008
Jeanne, 84 ans
A tous mes Jules
Veuve, belle femme aux rondeurs épanouies, me voici inscrite à ce que l'on pourrait appeler « la liste des vieux ». Je vous avertis, à la résidence, je ne mange pas trop pour ne pas vous écœurer devant une bouteille d'Orangina où comme moi toute la pulpe reste en bas !
Ne vous trompez pas de chambre car mes voisines ont parfois dû recevoir un coup sur le ciboulot, mais qui n'en a jamais reçu ?
Comme l'adage le dit si bien, plus on est de fous et plus on rit !
Que l'on soit vieux, jeunes, experts ou idiots, nous sommes tous à la même enseigne… Comme tout le monde, il nous faut payer les impôts et au final on est tous fauchés comme les blés ! Donc que vous soyez pauvres, riches, jeunes ou vieux, ce n'est pas votre porte-monnaie qui m'intéresse mais votre Q.I…
Parfois j'ai des moments de nostalgie qui me font perdre les pédales…
Ne soyez pas choqués de me voir barbouillée de rouge à lèvres confondant ma bouche et le nez. Mais croyez-moi, la maladie d'Alzheimer n'est pas une fatalité. Tout comme moi, vous vous prendrez à rire quand je mettrai mon soutien-gorge à l'envers et ma culotte sur la tête !!!
L'avantage que j'ai par rapport aux autres femmes est que si un jour vous me faites infidélité, le lendemain sera chose oubliée. Je passerai alors mes nerfs sur mon amant, qui n'est autre que la peluche de mon arrière-petit-enfant. Il est le reflet de mon homme idéal, doux, qui ne ronfle pas…
Alors si vous vous sentez à la hauteur de mes attentes, vous n'avez qu'à demander Jeanne, la femme au cœur qui rit…
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