Fondation Arthritis et prise en charge de la douleur : entretien avec le professeur Jérémie Sellam (partie 1)

A l’occasion de la journée mondiale des rhumatismes inflammatoires qui s’est tenue le 12 octobre dernier, la Fondation Arthritis a lancé la 11ᵉ édition de l’initiative « Ensemble contre les Rhumatismes (ECR) » conjointement avec d’autres acteurs de la recherche. Entretien avec le professeur Jérémie Sellam.

PAR SENIORACTU.COM | Publié le Vendredi 18 Octobre 2024

En 2024, comment et par qui est faite la prise en charge de la douleur pour les patients atteints de maladies rhumatismales ?

JS : La douleur est un symptôme des rhumatismes, et c’est souvent elle qui motive la venue chez le médecin. Il sera nécessaire de poser un diagnostic face à cette douleur : S’agit-il d’une arthrose ou d’une arthrite (polyarthrite rhumatoïde, spondylarthrite ankylosante, etc.) ? Mais le médecin devra aussi s’attarder sur la prise en charge de la douleur en elle[1]même.
 
Ainsi, différents professionnels de santé vont intervenir à différentes étapes, le patient étant au centre de la prise en charge. En premier lieu, le médecin généraliste peut donner des traitements antalgiques non spécifiques.
 
Ensuite, la douleur révèle une maladie rhumatismale qui peut être traitée avec des traitements plus spécifiques. A ce niveau, c’est le rôle du rhumatologue de les prescrire et d’ajuster aussi le traitement antalgique : il peut parfois faire appel à la cortisone, notamment pour les maladies inflammatoires, ou aux infiltrations de corticoïdes dans une articulation.
 
Enfin, lorsque l’on rencontre des situations plus complexes où les patients ont des maladies associées, des comorbidités, font état d’une douleur compliquée à interpréter, on va faire appel à des spécialistes de la douleur, les médecins algologues, qui interviennent souvent dans des centres d’étude et de traitement de la douleur (les CETD).
 
Ces centres sont très adaptés, d’une part, pour des patients atteints de fibromyalgie mais aussi dans le cas de maladies associées (les comorbidités) qui peuvent bloquer la prescription de certains médicaments (par exemple, si le patient a une maladie cardiovasculaire ou rénale qui contre indique les anti-inflammatoires en comprimés).
 
Ces centres sont plus à mêmes de proposer des thérapeutiques non médicamenteuses telles que l’hypnose et l’acupuncture.
 


La vision des médecins sur la douleur a-t-elle changé récemment ?

JS : Je dirais que notre compréhension de la douleur s’est probablement un peu enrichie ces dernières années.
 
Jusqu’à peu, on considérait que la douleur était un symptôme simple, ressenti un jour à l’autre par tout le monde et n’était pas compliquée à évaluer. Lorsqu’un patient nous disait « j’ai mal », nous lui demandions « Comment avez-vous mal sur une échelle de 0 à 10 ? ».
 
En réalité, on se rend compte que pour une maladie rhumatismale donnée, plusieurs mécanismes de la douleur interviennent, d’où cette complexité. Il y a la douleur due aux dégâts de l’articulation mais il y a aussi des douleurs liées à des anomalies plus neurologiques.
 
Dans le premier cas, l’articulation est abîmée et on a mal car les tissus articulaires sont lésés. Dans le deuxième cas, on pourrait dire pour schématiser qu’il y a des anomalies dans le thermostat de la douleur chez ces patients, faisant qu’ils ont mal plus vite, de manière plus étendue et disséminée dans tout leur corps.
 
Lorsque des patients commencent à avoir ces phénomènes complexes de douleurs intriquées, ils deviennent plus difficiles à traiter (on parle dans ce cas de douleurs nociplastiques). C’est important de bien décrypter les mécanismes des douleurs rhumatismales chez les patients, car selon, on adaptera les traitements.
 


Les méthodes utilisées pour évaluer la douleur dans le cas des maladies rhumatismales vous semblent-elles adaptées ou faudrait-il développer de nouveaux outils en recherche ?

JS : Les échelles « classiques » pour évaluer la douleur sont encore actuellement utilisées et restent utiles mais elles sont un peu restrictives : pour une meilleure compréhension des symptômes du patient, le médecin prend le temps d’écouter, d’examiner et peut s’aider d’examens d’imagerie.
 
Néanmoins, il reste intéressant d’avoir un chiffre, quelque chose qui peut se refaire de consultation en consultation pour voir l’évolution au fil du temps.

Globalement, les études scientifiques montrent que dans les maladies articulaires, le seuil de 40 sur 100 pour la douleur est un seuil important. Les patients qui évaluent souvent leur douleur en dessous de 40 sur 100 points arrivent à vivre à peu près avec leur douleur.
 
Alors que pour les patients l’évaluant au-dessus de 40 sur 100 points, celle-ci n’est pas acceptable en l’état, et incite le médecin à faire quelque chose. Le problème est que sous ce chiffre de 50 sur 100, 60 sur 100, …, comme les mécanismes associés aux douleurs peuvent être variables, nous, médecins, devons les analyser parce que les traitements que l’on va proposer peuvent varier.
 
Sous le vocable « j’ai mal », il peut y avoir, pour une maladie donnée, différents « j’ai mal » : un « j’ai mal » dus aux dégâts articulaires, mais aussi un « j’ai mal » lié en fait aux anomalies dans le thermostat de la douleur au niveau du cerveau.
 
Le « j’ai mal » peut aussi révéler un stress psychologique, social, professionnel, familial, ou encore la souffrance de vivre avec une maladie chronique. Il ne faut donc jamais voir ce « j’ai mal » de manière complètement déconnectée de la vie du patient. La douleur rhumatismale doit s’analyser dans un contexte de vie.
 
Le langage permettant de décrire la douleur est un élément essentiel pour l’analyser correctement et ici, le patient a un rôle primordial pour décrire ses douleurs et essayer d’affiner son ressenti. La douleur laisse même des souvenirs : un patient qui a fait une sciatique une fois dans sa vie vous redira plusieurs années après ce qu’est une douleur de sciatique !
 
Il faut donc savoir l’écouter. La manière de raconter est aussi importante : les douleurs appelées nociplastiques (liées aux anomalies du thermostat cérébral de la douleur) sont diffuses, au-delà même des articulations touchées, et permanentes.
 
En résumé, il n’y a pas une douleur mais des douleurs. Chacun sa part du travail : au médecin d’interroger, d’examiner, au patient de décrire et d’exprimer.










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