Jean-Philippe Tarot : votre intuition, c’est de lier les enjeux écologiques et démographiques ?
Serge Guérin : Oui. J’avais « inventé » il y a presque 10 ans, le terme « Transition démographique », déjà en analogie avec la dynamique écologique. Les deux événements impliquent une transformation très profonde, tant des comportements que de l’économie et, dans les deux cas, il y a eu un déni de la société et des décideurs ; et d’une certaine manière, un même refus de l’obstacle. Or, à mon sens, on ne fera face à ces deux transitions qu’en pensant « double transition » dans une logique de coopération. Deux transitions, c’est aussi deux chances pour répondre aux enjeux. En laissant l’idéologie de côté…
Ce que je tente de défendre dans ce livre, c'est que pour faire face dans les meilleures conditions à cette double transition, l’échelle locale, la ville ou le Département, est la plus adaptée. C’est là où les gens peuvent se mobiliser, se faire confiance et voir les effets de leurs actions.
JPT : ce que vous montrez aussi, c’est que dans les deux cas, il y a une forme de peur ?
SG : Oui, un refus d’obstacle, un déni. Un « après moi le déluge ». Or, le déluge c’est maintenant ! Un des éléments qui me permet de montrer la solidarité et la complémentarité entre les deux transitions, c’est la notion de « tragédie des horizons » que j’emprunte à Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre qui avait utilisé ce terme au moment de la COP 15 (en 2015), pour dire la difficulté de demander des efforts tout de suite alors que les effets de l’inaction environnementale ne se verraient que plus tard.
Il y a une peur de vieillir et il y une peur des effets des dérèglements climatiques. Mais dans les deux cas, la tentation est d’attendre et de remettre à plus tard les changements et actions.
A cela s’ajoute, une peur que les « vieux » sclérosent le pays, soient des conservateurs attardés… Plutôt qu’un discours catastrophiste, je préfère montrer un horizon et m’appuyer sur des faits et des actes qui montrent que l’action est possible.
Serge Guérin : Oui. J’avais « inventé » il y a presque 10 ans, le terme « Transition démographique », déjà en analogie avec la dynamique écologique. Les deux événements impliquent une transformation très profonde, tant des comportements que de l’économie et, dans les deux cas, il y a eu un déni de la société et des décideurs ; et d’une certaine manière, un même refus de l’obstacle. Or, à mon sens, on ne fera face à ces deux transitions qu’en pensant « double transition » dans une logique de coopération. Deux transitions, c’est aussi deux chances pour répondre aux enjeux. En laissant l’idéologie de côté…
Ce que je tente de défendre dans ce livre, c'est que pour faire face dans les meilleures conditions à cette double transition, l’échelle locale, la ville ou le Département, est la plus adaptée. C’est là où les gens peuvent se mobiliser, se faire confiance et voir les effets de leurs actions.
JPT : ce que vous montrez aussi, c’est que dans les deux cas, il y a une forme de peur ?
SG : Oui, un refus d’obstacle, un déni. Un « après moi le déluge ». Or, le déluge c’est maintenant ! Un des éléments qui me permet de montrer la solidarité et la complémentarité entre les deux transitions, c’est la notion de « tragédie des horizons » que j’emprunte à Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre qui avait utilisé ce terme au moment de la COP 15 (en 2015), pour dire la difficulté de demander des efforts tout de suite alors que les effets de l’inaction environnementale ne se verraient que plus tard.
Il y a une peur de vieillir et il y une peur des effets des dérèglements climatiques. Mais dans les deux cas, la tentation est d’attendre et de remettre à plus tard les changements et actions.
A cela s’ajoute, une peur que les « vieux » sclérosent le pays, soient des conservateurs attardés… Plutôt qu’un discours catastrophiste, je préfère montrer un horizon et m’appuyer sur des faits et des actes qui montrent que l’action est possible.
JPT : justement, votre notion de convergence entre les deux transitions apparaît très stimulante et originale, mais pouvez-vous donner des exemples concrets ?
SG : Comme il y a des lieux du lien, il y a des lieux de la double transition. Si on adapte à la fois l’habitat au vieillissement, comme c’est le cas avec MaPrim’Adapt, et qu’en même temps on isole pour éviter les déperditions d’énergie, l’action concerne les deux transitions.
Idem, si je limite la vitesse en ville, j’améliore la sécurité des passants, notamment les très jeunes et les très âgés et je réduits les émissions de CO2. Un habitat partagé, avec une seule cuisine pour cinq locataires seniors, cela diminue le cout du loyer mais aussi l’empreinte écologique du lieu et cela créé du lien solidaire.
Quand on soutient les jardins collectifs, cela améliore le pouvoir d’achat des gens, embellit les lieux et, comme on utilise moins d’intrants que dans les exploitations professionnelles, cela contribue aussi à réduire le bilan carbone. Et en même temps, il y a possiblement des échanges entre les générations…
JPT : vous êtes très remonté contre le discours faisant des jeunes la « génération climat » et des seniors les « OK boomers » !
SG : Absolument. Le deuxième élément qui m’a motivé pour écrire « Et si les vieux aussi sauvaient la planète ? », c’est de discuter de ce discours assez méprisant sur les seniors, accusés de ne rien faire pour le climat alors qu’ils porteraient la responsabilité de la situation. En parallèle, a surgi un discours angélique sur la jeunesse, forcément consciente des enjeux et moteur des changements… Mais les choses sont plus compliquées.
Beaucoup cherchent à essentialiser l’ensemble des comportements, à enfermer chacun dans une identité. Or, nous sommes des animaux sociaux pluriel avec une diversité d’identités, d’histoires et de personnalités.
SG : Comme il y a des lieux du lien, il y a des lieux de la double transition. Si on adapte à la fois l’habitat au vieillissement, comme c’est le cas avec MaPrim’Adapt, et qu’en même temps on isole pour éviter les déperditions d’énergie, l’action concerne les deux transitions.
Idem, si je limite la vitesse en ville, j’améliore la sécurité des passants, notamment les très jeunes et les très âgés et je réduits les émissions de CO2. Un habitat partagé, avec une seule cuisine pour cinq locataires seniors, cela diminue le cout du loyer mais aussi l’empreinte écologique du lieu et cela créé du lien solidaire.
Quand on soutient les jardins collectifs, cela améliore le pouvoir d’achat des gens, embellit les lieux et, comme on utilise moins d’intrants que dans les exploitations professionnelles, cela contribue aussi à réduire le bilan carbone. Et en même temps, il y a possiblement des échanges entre les générations…
JPT : vous êtes très remonté contre le discours faisant des jeunes la « génération climat » et des seniors les « OK boomers » !
SG : Absolument. Le deuxième élément qui m’a motivé pour écrire « Et si les vieux aussi sauvaient la planète ? », c’est de discuter de ce discours assez méprisant sur les seniors, accusés de ne rien faire pour le climat alors qu’ils porteraient la responsabilité de la situation. En parallèle, a surgi un discours angélique sur la jeunesse, forcément consciente des enjeux et moteur des changements… Mais les choses sont plus compliquées.
Beaucoup cherchent à essentialiser l’ensemble des comportements, à enfermer chacun dans une identité. Or, nous sommes des animaux sociaux pluriel avec une diversité d’identités, d’histoires et de personnalités.
JPT : Mais tout de même, j’entends un peu partout qu’il y a une fracture entre les seniors et les jeunes sur les questions environnementales !
SG : Fondamentalement, non. Pas de guerre de générations climatiques !
Oui, les jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup plus sensibles à la question du réchauffement climatique que les jeunes de 1950. Mais les anciens jeunes de 1950 ne sont pas moins conscients des enjeux que leurs cadets.
Les études le confirment : 74% des moins de 35 ans et autant des plus de 65 ans se disent inquiets des conséquences du dérèglement climatique pour la France (sondage Ipsos/ CESE octobre 2023).
L’élément déterminant sur ce plan n’est pas l’âge mais le sexe : les femmes sont beaucoup plus sensibles à la question que les hommes : elles sont 80% à s’inquiéter contre 67% des hommes !
Il n’y a donc pas une génération de jeunes bénis des Dieux de l’écologie contre une génération de vieux pourris défenseurs de la pollution.
Autre exemple : à la question posée par Ipsos en mars 2023, au sujet des « différents projets qui, s’ils se réalisaient, vous rendrait optimistes pour l’avenir », « La découverte d’énergies abondantes et non polluantes » est citée dans le Top 3 des principaux espoirs par 36% des 18-24 ans et 37% des plus de 65 ans. Seulement 30% des 25-34 ans et des 55-64 ans le positionne dans le trio de tête.
Selon une étude de Via Voice d’octobre 2023, chez ceux qui reconnaissent le dérèglement climatique, 44% estiment savoir ce qu’ils pourraient faire à leur niveau pour « lutter encore plus contre le dérèglement climatique ».
Si seulement 31% des plus de 65 ans sont de cet avis, les plus jeunes ont beaucoup moins de doutes. Ils sont 64% à être convaincu de ce qu’il faut faire. En écart de 33 points.
JPT : Mais comment cette auto-satisfaction de nombreux jeunes se traduit-elle concrètement ?
SG : Finalement, ils déclarent s’engager bien plus par des petits gestes au quotidien que par une implication dans une association de défense de l’environnement (9% seraient prêts à le faire) ou dans des manifestations (14%).
Un engagement sommes-toute très limité. Et dans la vie quotidienne, dans les gestes que l’on peut décider d’accomplir sans entrave ni contraintes du « système » et sans contraintes économiques, la « Génération climat » se distingue-t-elle véritablement ?
Le sondage Harris Interactiv publié le 22 janvier 2024 pour la présentation par le ministre Christophe Béchu de son plan « La France s’adapte » va dans le même sens que mon propos : 32% des 18-24 placent le changement climatique comme une préoccupation majeure, contre 45% des plus de 65 ans…
Un autre élément à retenir, c’est qu’une part importante de la population – et une part qui augmente- récuse le fait du dérèglement climatique et nie le rôle des humains. Selon les études, c’est environ un quart de la population qui se place dans cette perspective. Et les jeunes ne sont pas les moins climatosceptiques !
JPT : Une enquête de l’Ademe publiée en juin 2023 pointe cependant un certain ressentiment des plus jeunes envers leurs aînés, accusés d’être insouciants face aux enjeux…
SG : Ce n’est pas si simple. D’ailleurs, selon cette même étude que j’évoque dans le livre, si 71% des 15-25 ans ont déjà critiqué l’attitude de leurs parents concernant des mauvaises pratiques pour l’environnement, 67% ont reçu des critiques de la part de leurs parents.
Combien de fois Romain, 30 ans, a déjà pris l’avion par rapport à Denise, 85 ans ? L’empreinte écologique d’un jeune d’aujourd’hui est sans commune mesure avec celle de la personne âgée quand elle-même était jeune. Elle n’avait pas de portable, n’utilisait pas internet, allait à pied faire ses courses, voyageait en train…
C’est quand même dans la ruralité que l’écologie est la plus vivante. Elle reste le poumon vert de la France. Vous imaginez le rural sans les vieux ? Qui ferait le boulot, qui serait élu, qui entretiendrait les espaces, qui ferait vivre le commerce de proximité, qui ferait du maraichage ? Et j’en passe !
Sortons d’un conflit entre générations qui n’a pas lieu d’être. Il n’y a pas une génération qui aurait eu la révélation et les autres, les plus âgés, qui n’auraient rien compris. Beaucoup de jeunes ne font pas d’efforts ! En revanche, dans toutes les classes d’âges, il y a des personnes qui en font ! Tout le monde est concerné. Il s’agit de s’unir face au défi !
L’enjeu, c’est de libérer le local pour favoriser les initiatives. C’est là où les gens vivent qu’ils peuvent se mobiliser le mieux concrètement et qu’ils ressentent les effets des décisions. Revivifier la démocratie par le local va de pair avec la réponse face aux deux transitions.
SG : Fondamentalement, non. Pas de guerre de générations climatiques !
Oui, les jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup plus sensibles à la question du réchauffement climatique que les jeunes de 1950. Mais les anciens jeunes de 1950 ne sont pas moins conscients des enjeux que leurs cadets.
Les études le confirment : 74% des moins de 35 ans et autant des plus de 65 ans se disent inquiets des conséquences du dérèglement climatique pour la France (sondage Ipsos/ CESE octobre 2023).
L’élément déterminant sur ce plan n’est pas l’âge mais le sexe : les femmes sont beaucoup plus sensibles à la question que les hommes : elles sont 80% à s’inquiéter contre 67% des hommes !
Il n’y a donc pas une génération de jeunes bénis des Dieux de l’écologie contre une génération de vieux pourris défenseurs de la pollution.
Autre exemple : à la question posée par Ipsos en mars 2023, au sujet des « différents projets qui, s’ils se réalisaient, vous rendrait optimistes pour l’avenir », « La découverte d’énergies abondantes et non polluantes » est citée dans le Top 3 des principaux espoirs par 36% des 18-24 ans et 37% des plus de 65 ans. Seulement 30% des 25-34 ans et des 55-64 ans le positionne dans le trio de tête.
Selon une étude de Via Voice d’octobre 2023, chez ceux qui reconnaissent le dérèglement climatique, 44% estiment savoir ce qu’ils pourraient faire à leur niveau pour « lutter encore plus contre le dérèglement climatique ».
Si seulement 31% des plus de 65 ans sont de cet avis, les plus jeunes ont beaucoup moins de doutes. Ils sont 64% à être convaincu de ce qu’il faut faire. En écart de 33 points.
JPT : Mais comment cette auto-satisfaction de nombreux jeunes se traduit-elle concrètement ?
SG : Finalement, ils déclarent s’engager bien plus par des petits gestes au quotidien que par une implication dans une association de défense de l’environnement (9% seraient prêts à le faire) ou dans des manifestations (14%).
Un engagement sommes-toute très limité. Et dans la vie quotidienne, dans les gestes que l’on peut décider d’accomplir sans entrave ni contraintes du « système » et sans contraintes économiques, la « Génération climat » se distingue-t-elle véritablement ?
Le sondage Harris Interactiv publié le 22 janvier 2024 pour la présentation par le ministre Christophe Béchu de son plan « La France s’adapte » va dans le même sens que mon propos : 32% des 18-24 placent le changement climatique comme une préoccupation majeure, contre 45% des plus de 65 ans…
Un autre élément à retenir, c’est qu’une part importante de la population – et une part qui augmente- récuse le fait du dérèglement climatique et nie le rôle des humains. Selon les études, c’est environ un quart de la population qui se place dans cette perspective. Et les jeunes ne sont pas les moins climatosceptiques !
JPT : Une enquête de l’Ademe publiée en juin 2023 pointe cependant un certain ressentiment des plus jeunes envers leurs aînés, accusés d’être insouciants face aux enjeux…
SG : Ce n’est pas si simple. D’ailleurs, selon cette même étude que j’évoque dans le livre, si 71% des 15-25 ans ont déjà critiqué l’attitude de leurs parents concernant des mauvaises pratiques pour l’environnement, 67% ont reçu des critiques de la part de leurs parents.
Combien de fois Romain, 30 ans, a déjà pris l’avion par rapport à Denise, 85 ans ? L’empreinte écologique d’un jeune d’aujourd’hui est sans commune mesure avec celle de la personne âgée quand elle-même était jeune. Elle n’avait pas de portable, n’utilisait pas internet, allait à pied faire ses courses, voyageait en train…
C’est quand même dans la ruralité que l’écologie est la plus vivante. Elle reste le poumon vert de la France. Vous imaginez le rural sans les vieux ? Qui ferait le boulot, qui serait élu, qui entretiendrait les espaces, qui ferait vivre le commerce de proximité, qui ferait du maraichage ? Et j’en passe !
Sortons d’un conflit entre générations qui n’a pas lieu d’être. Il n’y a pas une génération qui aurait eu la révélation et les autres, les plus âgés, qui n’auraient rien compris. Beaucoup de jeunes ne font pas d’efforts ! En revanche, dans toutes les classes d’âges, il y a des personnes qui en font ! Tout le monde est concerné. Il s’agit de s’unir face au défi !
L’enjeu, c’est de libérer le local pour favoriser les initiatives. C’est là où les gens vivent qu’ils peuvent se mobiliser le mieux concrètement et qu’ils ressentent les effets des décisions. Revivifier la démocratie par le local va de pair avec la réponse face aux deux transitions.
sur 5 étoiles
Un livre informatif et captivant, qui nous montre que chaque génération a un rôle à jouer pour l'avenir de notre planète. Ne manquez pas cet appel à l'action pour une société plus juste et durable.