Quand vient l'automne : interview du réalisateur François Ozon

Alors que le 23ème film du réalisateur français François Ozon vient de sortir dans les salles obscures, Quand vient l’automne avec Hélène Vincent, Josiane Balasko et Ludivine Sagnier, revenons sur l’histoire, la genèse et les secrets de ce nouveau thriller.

PAR SENIORACTU.COM | Publié le 04/10/2024

Avec Quand vient l’automne, vous revenez à un film plus intimiste.

Après Mon crime, comédie jouant sur l’ironie, l’artifice, et plusieurs adaptations, je voulais revenir à l’écriture d’un scénario original. J’avais envie de faire un film plus ancré dans le réel, plus dépouillé.
 
On y retrouve les thèmes de la culpabilité et du meurtre, mais sur un autre ton, dans une atmosphère à la Simenon, que j’ai toujours beaucoup aimé.
 
Il y a une volonté de simplicité et de douceur dans la mise en scène, traversée d’une tension et d’un suspense sur les véritables enjeux des personnages, qui sont confrontés à des cas de conscience complexes, au-delà du bien et du mal.
 
Mais le désir premier était avant tout de filmer des actrices d’un certain âge. De montrer la beauté des rides sur leur visage, faites du temps qui passe et de leur expérience de la vie. Je suis effaré de voir à quel point cela disparaît de plus en plus dans la société et sur les écrans.
 
J’avais envie, en opposition, de filmer des actrices de 70 et 80 ans qui portent leur âge et l’assument sans artifice. J’ai beaucoup repensé à Sous le sable, quand je m’apprêtais à tourner avec Charlotte Rampling – qui n’avait alors que 50 ans – et que tout le monde me disait déjà : « Elle est trop vieille, ça n’intéressera personne ! »


 
Comment vous est venu le point de départ du film ?

De mon histoire personnelle. Enfant, une de mes tantes avait organisé un repas de famille où elle avait cuisiné des champignons, qu’elle avait elle-même ramassés. Pendant la nuit, tout le monde avait été très malade, sauf elle, qui n’en avait pas mangé.
 
Cette histoire m’avait fasciné et je soupçonnais ma tante, si gentille et bienveillante, d’avoir voulu empoisonner toute la famille (ce qui était un peu mon désir profond) ! Plus tard, en découvrant Le Roman d’un tricheur de Guitry, j’ai évidemment repensé à elle.
 
Quand on cuisine des champignons, est-ce qu’on n’a pas, plus ou moins consciemment, envie de se débarrasser de quelqu’un ? Je suis parti de cette question pour créer ce personnage, qui en apparence a tout de la « mamie gâteau », mais qui pourrait être plus trouble que l’image qu’elle renvoie.


 
Quand vient l’automne tourne autour d’un trou noir, celui de nos actes manqués.

J’avais envie dans la narration de mêler la difficulté du vieillissement à un aspect thriller.
 
Avec le parti pris de laisser des éléments hors-champ et beaucoup de non-dits, ce qui permet au spectateur de faire son propre film et d’avoir sa propre interprétation sur le comportement de Michelle ou de Vincent, le fils de Marie-Claude, qui sort de prison et dont on sait juste « qu’il a fait des bêtises ».
 
Souvent, la vie nous offre par inadvertance la réalisation de nos souhaits ou désirs les plus secrets. On a tendance à sanctifier et idéaliser les personnes âgées, à oublier qu’elles ont eu un passé plus complexe qu’il n’y paraît, qu’elles ont été jeunes, qu’elles ont une sexualité, un inconscient…
 
Je voulais faire sentir toute l’ambiguïté du besoin de Michèle de revoir son petit-fils. Rien n’est totale[1]ment clair ou volontaire dans ses actes. Il y a des circonstances, de l’accidentel, de l’immanence.
 
Je voulais aussi que le film nous interroge sur nos comportements, sur nos réactions lorsqu’un proche est soupçonné d’avoir commis un acte que l’on peut désapprouver, mais dont on n’est pas témoin. Le doute s’installe. Et jusqu’où est-on prêt à le protéger ? Ce questionnement résonne particulièrement avec ce qui agite notre société aujourd’hui.
 


Vous jouez sur l’ambiguïté mais il me semble que vous placez davantage le curseur du côté de l’instinct de vie de Michèle que sur le poids éventuel de sa culpabilité. Notamment en la filmant dans son quotidien…

Il était important de commencer le film en montrant le rythme de cette femme de 80 ans qui vit à la campagne, dans sa belle maison. Elle jardine dans son potager, elle va à l’église, elle accompagne son amie en voiture, elle dîne seule…
 
Elle est dans un rythme de vie complètement différent de celui qu’elle avait à Paris. Il y a beaucoup de silence dans son quotidien. Et à plusieurs moments, les choses pourraient être dites mais ne le sont pas. Ou ne sont pas entendues. Il y a une forme de protection chez Michèle. Elle n’est pas machiavélique mais se crée sa vérité. C’est son moyen de survie.


 
Au centre de Quand vient l’automne, il y a aussi l’amitié de Michèle et Marie-Claude, qui contribue à donner son rythme au film…

Cette idée d’amitié et de sororité était déjà présente dans Mon crime, avec deux jeunes filles qui s’entraident. Mais ici, il s’agit de deux femmes beaucoup plus âgées, deux femmes qui ont partagé un même travail, un passé…
 
J’avais envie de filmer leur plaisir à vivre ensemble au quotidien. Michèle et Marie-Claude sont comme deux sœurs, dont l’une a visiblement plus souffert que l’autre. Marie-Claude n’a pas la
force de Michèle. Ni son absence de morale. Elle ne sait pas s’arranger avec le réel, elle le prend en pleine face, le subit dans son corps, en tombe malade.
 
Elle se sent responsable de son fils, qui a été en prison, elle culpabilise et s’interroge sur ce qu’elle a fait de mal en tant que mère. Alors que Michèle se console et s’en arrange plus facilement : « On a fait comme on a pu ! »
 
(…)
 


Au coeur du film, il y a aussi le lien très fort qui unit Michèle à son petit-fils Lucas.

Je voulais filmer le contraste de la jeunesse et de la vieillesse, filmer la main du petit-fils dans celle de la grand-mère, ces liens très charnels entre grands-parents et petits-enfants.
 
Michèle a sans doute eu une vie très agitée mais maintenant, elle se repose, elle a envie de profiter de la nature, de son amie et de son petit-fils. On sent un apaisement, un bien[1]être, des rituels, une solitude assumée, jusqu’au moment où, justement, elle n’a plus la possibilité de voir son petit-fils.
 
Tout d’un coup, les choses lui pèsent. Elle n’arrive plus à se lever le matin, dort la journée, tombe dans un état dépressif.
 
Michèle est aimante, mais des choses n’ont pas été trans[1]mises à sa fille et elle comble ce besoin de transmission exacerbé avec son petit-fils.

Quand on saute une génération, les choses sont souvent plus faciles. A la fin, Michèle donne à son petit-fils les clés de la maison que sa fille, crispée sur l’argent et le passé de sa mère, tentait de lui arracher. La fille demandait, c’est le petit-fils qui reçoit.
 


Le passé de Michèle permet d’accentuer ce poids de l’héritage, la difficulté de la transmission…

Ce n’est pas un deus ex machina qui explique tout –une fille peut ne pas s’entendre avec sa mère sans un tel passé– mais il permet d’éclairer un peu mieux cette tension entre la mère et la fille. Le passé de Michèle et de Marie-Claude est un caillou dans la chaussure de leurs enfants.
 
Je me suis beaucoup renseigné et en général, il y a souvent deux réactions : soit l’enfant prend la défense de sa mère et pense qu’elle a été une victime, qu’il faut l’aider à s’en sortir, à avoir la sécurité sociale, une retraite etc…
 
Soit l’enfant rejette sa mère, trou[1]vant immonde et choquant ce qu’elle a fait. Les comportements de Vincent et Valérie sont un peu à l’image de ces archétypes de réaction, même si évidemment, ils sont plus complexes que cela.


 
La nature est très présente dans le film.

C’était important pour moi d’inscrire cette histoire intime en Bourgogne, une région que j’aime, et où j’ai passé mes vacances, enfant. Nous avons tourné à Donzy, près de Cosne sur Loire, une région peu filmée.
 
Après des films citadins, c’était bien de filmer le calme de cette campagne, revenir à la source d’une partie de mon enfance. Le film raconte l’automne de la vie mais aussi la beauté automnale de ces paysages. Le rythme des saisons, la nature sont très présents dans les couleurs, la lumière, les sons, dans le bruit de l’eau des canaux.
 
Le film commence et finit en automne, dans la forêt. De manière métaphorique, Michèle se fond dans la nature, entourée de fougères, et revient à la terre, comme un cham[1]pignon. C’est le cycle de la vie.










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