Notre peau est-elle un écosystème ?
De plus en plus de biologistes considèrent effectivement que l’homme appartient à un écosystème complexe composé de milliards d’espèces microbiennes qui résident sur la peau, le nez, la bouche, les poumons, les intestins, c’est-à-dire toutes les parties en contact avec l’extérieur.
La peau est naturellement recouverte de milliards de microorganismes. C’est une couche active qui vit en bonne intelligence avec le corps tout au long de la vie. Cette microflore, qu’on appelle aussi microbiote, forme une carte d’identité aussi unique que notre ADN.
De qui est composée cette microflore cutanée ?
Ces microorganismes sont des bactéries, des champignons, des virus... Ils vivent en communautés qui, soit collaborent, soit sont en compétition. Leur équilibre est garant de notre santé et de notre bien-être. On compte environ un million de bactéries par cm² de peau. A ce jour, plus de 500 espèces bactériennes ont été identifiées sur les peaux saines, qui peuvent exprimer plus de 2 millions de gènes.
La composition de cette microflore varie à la fois selon le pH, la température, l’humidité, la salinité ou la concentration en sébum de la zone du corps considérée mais aussi en fonction de l’âge, du sexe et de multiples paramètres externes comme l’alimentation ou l’environnement.
Aujourd’hui on sait faire la différence entre la microflore d’une personne jeune et d’une personne âgée car cette signature se modifie au fil des événements de la vie. Ainsi, le microbiote d’un citadin possède une signature microbiologique bien différente de celle d’un rural : il présente les caractéristiques liées à ses expositions comme les UV ou la pollution, qui entraînent l’apparition de taches et de signes d’un vieillissement précoce de la peau.
D’où viennent ces microorganismes ?
Dans le placenta, le fœtus ne dispose pas de ce manteau bactérien, sa peau est stérile. Mais au moment de la naissance, le contact se fait avec le passage à l’air libre. La colonisation par les micro-organismes commence quelques minutes après la naissance. L’accouchement par voie basse transmet au nouveau-né des bactéries pour l’aider à digérer le lait maternel dont les sucres complexes, essentielles au développement de son système immunitaire et de son cerveau.
Les nouveaux nés présentent d’abord un microbiome peu diversifié, similaire sur toute la surface cutanée. Petit à petit, les différentes régions de la peau développent des caractéristiques d’humidité, de température ou de sébum.
A quoi sert le microbiote cutané ?
La peau est à la fois le plus grand organe du corps en contact avec l’extérieur, la plus grande interface avec l’intérieur du corps. C’est pourquoi elle est dotée de mécanismes physiologiques qui en font une véritable barrière protectrice. Sa microflore assure plusieurs fonctions indispensables à la santé : nourrir les microorganismes qui éduquent notre système immunitaire à reconnaître les organismes étrangers et protéger notre corps d’une invasion par des agents pathogènes.
Elle produit des vitamines essentielles et des enzymes nécessaires à la digestion, elle synthétise des molécules anti-inflammatoires. Cette microflore connaît une évolution en trois grandes étapes qui correspondent aux âges de la vie, liés aux changements hormonaux : naissance, puberté et ménopause / andropause.
Comment ont commencé les recherches sur le microbiote ?
L’étude de l’ensemble du microbiote, aussi appelée microbiome, a permis de commencer à comprendre les changements de l’écosystème cutané associés à des désordres, mais aussi d’anticiper ce qui est encore invisible à l’œil.
Jusque dans les années 1990, dans les conditions standard de culture en laboratoire, les microbiologistes ne pouvaient détecter que moins de 1% de la flore bactérienne : ce faible pourcentage ne reflétait pas la réalité de l’ensemble de la flore puisque la croissance plus rapide de certaines espèces masquait la présence des plus lentes.
L’étude du microbiome humain a véritablement commencé en 2007 aux Etats-Unis lorsque le National Institute of Health a lancé le Human Microbiome Project. Ce projet ambitieux consistait à séquencer le génome de tous les microorganismes vivant habituellement à l’intérieur et à la surface de notre corps pour comprendre leur influence et leur rôle sur la santé humaine.
Aujourd’hui, grâce aux progrès technologiques considérables réalisés dans le séquençage génétique à haut débit, on accède à l’ensemble de ces espèces et on peut décrire cet univers bactérien de manière qualitative (famille, genre, espèce de bactéries) et quantitative (pourcentage des différentes bactéries présentes). Ces approches génomiques ont ainsi révélé une diversité bien plus importante que de simples cultures bactériennes.
Caractériser le microbiome de la peau, c’est-à-dire identifier l’ensemble des génomes des micro-organismes qui colonisent une région précise de la peau revient à déterminer la signature microbiologique de la peau. C’est essentiel, à la fois pour comprendre comment la perturbation de cet écosystème peut entraîner des désordres et comment préserver son équilibre.
Le microbiome humain est devenu un immense terrain de recherche et de développement pour les industries agro-alimentaires, pharmaceutiques, biotechnologiques, dermatologiques et cosmétiques.
Comment s’est fait lien entre appareil digestif et peau ?
La connaissance du microbiome s’est accélérée depuis 10 ans grâce aux progrès du séquençage du génome qui ont permis des analyses plus détaillées. Le microbiome cutané a largement bénéficié des études du microbiome intestinal beaucoup plus abondant : son étude a commencé très tôt car il était beaucoup plus facile d’accès et il représentait des enjeux de santé importants.
On a décrypté rapidement son rôle dans de grandes pathologies comme certaines inflammations intestinales, le diabète ou plus récemment son implication dans les cancers. Pour celui de la peau, l’enjeu technologique est important puisqu’elle abrite une bien plus faible quantité de microorganismes (en nombre absolu et en variété) que le système digestif, ce qui rend les analyses beaucoup plus difficiles.
L’étude a démarré par la cartographie de l’ensemble des sous-populations bactériennes hébergées dans toutes les zones du corps et en lien avec des pathologies, des désordres cutanés comme la dermatite atopique, ou le psoriasis. On a ainsi mis en évidence une singularité intéressante : on compte entre 500 et 1000 espèces de microorganismes différentes sur la peau, et entre 5000 à 10 000 pour l’appareil digestif.
Mais il y a des points communs entre les deux flores. Tout d’abord l’intestin représente lui aussi une barrière vis-à-vis de l’exposition externe. Ensuite un certain nombre de pathologies intestinales ont un impact cutané.
Par exemple, les personnes souffrant de pathologies inflammatoires intestinales sont souvent également sujettes à des pathologies cutanées comme le psoriasis. L’intestin et la peau sont des sites majeurs de surveillance immunologique et des études montrent un lien entre certaines pathologies de l’intestin et des affections de la peau : un tiers des patients souffrant de la maladie de Crohn souffrent de lésions psoriasiques et des cas d’infection de l’intestin par la bactérie Helicobacter pylori ont été associés à la rosacée.
Sur quoi portent vos dernières études ?
En parallèle nos équipes ont aussi montré au niveau du scalp les implications du microbiome chez les sujets souffrant de pellicules sur le cuir chevelu : la présence excessive de la levure malassezia (naturellement présente) et la diminution de certaines autres bactéries (Staphylococcus epidermidis, C acnes) sont associées à la présence de pellicules. Du coup, l’enjeu est donc de diminuer la présence de ces levures pour corriger ces états pelliculaires.
L’environnement joue-t-il un rôle sur l’état du microbiome ?
Oui. Plus récemment nous nous sommes intéressés au déséquilibre du microbiome en lien avec pollution et vie urbaine. De manière intéressante, nous avons montré que des personnes qui vivent dans un environnement urbain pollué ont un microbiome déséquilibré par rapport à celles qui vivent dans un environnement rural moins pollué. D’autres équipes de recherche ont confirmé ces mêmes tendances.
Les facteurs environnementaux, spécifiques à l’individu, tels que par exemple son lieu de vie, sa profession, ses vêtements ou sa consommation d’antibiotiques peuvent aussi moduler la colonisation de sa peau par les bactéries. Enfin, l’étude de bactéries présentes sur la peau des personnes vivant dans un environnement pollué ouvre de nouvelles pistes de recherche pour comprendre le déséquilibre et le lien avec les signes cliniques observés tels que désordres pigmentaires, états acnéiques…
Comment intervient-on sur ces microorganismes ?
Il y a trois façons d’intervenir pour apporter des bénéfices à la peau. La première, c’est de les nourrir en apportant des éléments nutritifs capables de favoriser leur développement : il s’agit, par exemple, de sources de carbone comme des sucres, des corps gras et des minéraux. On les appelle des prébiotiques.
La deuxième voie, ce sont les postbiotiques, un ensemble de molécules naturellement secrétées par les bactéries à la surface de la peau, qui miment ce que font les bactéries. Par exemple, certains acides gras à chaînes courtes participent à la récupération d’une bonne fonction barrière dans l’intestin. Une forme de greffe de bactéries.
La difficulté, c’est d’avoir des bactéries vivantes, stabilisées, de les conserver sous une forme qui leur permette de retrouver leur efficacité quand elles sont appliquées sur la peau. Il y a là un enjeu technologique de formulation sur lequel nos laboratoires de développement se concentrent activement.
A quoi peut-on rêver demain dans ce domaine ?
Le futur verra le développement de nouvelles approches diagnostiques basées sur la caractérisation du microbiome et de nouveaux régimes nutritionnels et stratégies thérapeutiques pour corriger les déséquilibres. L’équilibre et la diversité des microbiomes seront régulièrement contrôlés grâce à des tests diagnostiques. Et demain les traitements seront personnalisés.
La prochaine étape sera de pouvoir utiliser l’arsenal vivant du microbiome pour corriger les signes de l’âge, mieux prévenir les changements de notre peau et mieux traiter les désordres : corriger les taches et les irrégularités du teint, prévenir leur apparition.
A plus long terme, on pourra intervenir sur cet écosystème bactérien directement sur la peau ou en changeant ses habitudes de vie. On pourra aussi bientôt anticiper ces perturbations pour prévenir certaines pathologies comme les allergies cutanées ou l’apparition des pellicules sur le cuir chevelu. Ou décrypter le dialogue qu’entretiennent les bactéries avec le système immunitaire de la peau à l’origine des désordres cutanés. Manipuler cette flore sensible est encore à un stade de recherche, mais les connaissances avancent rapidement.
Différentes stratégies sont à l’étude, comme l’utilisation de bactériophages, des virus qui suppriment de façon très sélective les bactéries nuisibles, ou encore l’usage de prébiotiques, des molécules capables de modifier l’écosystème bactérien en favorisant la croissance de certaines espèces cutanées.
Enfin, grâce à des outils connectés en cours de finalisation, on pourra aussi procéder à un diagnostic quotidien, détecter en quelques minutes les changements du microbiome associés aux désordres de la peau et du cheveu, et déterminer par exemple quand utiliser un shampoing antipelliculaire avant même l’arrivée de cette desquamation disgracieuse. Et ainsi prévenir les récidives de l’acné, de l’eczéma voire éviter le recours aux antibiotiques.
Face aux multiples pouvoirs du microbiome cutané, la conviction de L’Oréal est que ce nouveau domaine de recherche ouvre un champ infini de possibilités pour améliorer l’état de notre peau ou de notre cuir chevelu. Il ne s’agit plus de s’intéresser uniquement aux cellules de la peau mais à l’ensemble de l’écosystème microbiome cutané pour apporter de nouvelles performances.
Nous ne considérons pas le microbiome simplement comme un monde complexe vivant à la surface de notre peau et qu’il faut respecter mais également comme un véritable allié pour apporter demain des solutions nouvelles à la cosmétique classique.
De plus en plus de biologistes considèrent effectivement que l’homme appartient à un écosystème complexe composé de milliards d’espèces microbiennes qui résident sur la peau, le nez, la bouche, les poumons, les intestins, c’est-à-dire toutes les parties en contact avec l’extérieur.
La peau est naturellement recouverte de milliards de microorganismes. C’est une couche active qui vit en bonne intelligence avec le corps tout au long de la vie. Cette microflore, qu’on appelle aussi microbiote, forme une carte d’identité aussi unique que notre ADN.
De qui est composée cette microflore cutanée ?
Ces microorganismes sont des bactéries, des champignons, des virus... Ils vivent en communautés qui, soit collaborent, soit sont en compétition. Leur équilibre est garant de notre santé et de notre bien-être. On compte environ un million de bactéries par cm² de peau. A ce jour, plus de 500 espèces bactériennes ont été identifiées sur les peaux saines, qui peuvent exprimer plus de 2 millions de gènes.
La composition de cette microflore varie à la fois selon le pH, la température, l’humidité, la salinité ou la concentration en sébum de la zone du corps considérée mais aussi en fonction de l’âge, du sexe et de multiples paramètres externes comme l’alimentation ou l’environnement.
Aujourd’hui on sait faire la différence entre la microflore d’une personne jeune et d’une personne âgée car cette signature se modifie au fil des événements de la vie. Ainsi, le microbiote d’un citadin possède une signature microbiologique bien différente de celle d’un rural : il présente les caractéristiques liées à ses expositions comme les UV ou la pollution, qui entraînent l’apparition de taches et de signes d’un vieillissement précoce de la peau.
D’où viennent ces microorganismes ?
Dans le placenta, le fœtus ne dispose pas de ce manteau bactérien, sa peau est stérile. Mais au moment de la naissance, le contact se fait avec le passage à l’air libre. La colonisation par les micro-organismes commence quelques minutes après la naissance. L’accouchement par voie basse transmet au nouveau-né des bactéries pour l’aider à digérer le lait maternel dont les sucres complexes, essentielles au développement de son système immunitaire et de son cerveau.
Les nouveaux nés présentent d’abord un microbiome peu diversifié, similaire sur toute la surface cutanée. Petit à petit, les différentes régions de la peau développent des caractéristiques d’humidité, de température ou de sébum.
A quoi sert le microbiote cutané ?
La peau est à la fois le plus grand organe du corps en contact avec l’extérieur, la plus grande interface avec l’intérieur du corps. C’est pourquoi elle est dotée de mécanismes physiologiques qui en font une véritable barrière protectrice. Sa microflore assure plusieurs fonctions indispensables à la santé : nourrir les microorganismes qui éduquent notre système immunitaire à reconnaître les organismes étrangers et protéger notre corps d’une invasion par des agents pathogènes.
Elle produit des vitamines essentielles et des enzymes nécessaires à la digestion, elle synthétise des molécules anti-inflammatoires. Cette microflore connaît une évolution en trois grandes étapes qui correspondent aux âges de la vie, liés aux changements hormonaux : naissance, puberté et ménopause / andropause.
Comment ont commencé les recherches sur le microbiote ?
L’étude de l’ensemble du microbiote, aussi appelée microbiome, a permis de commencer à comprendre les changements de l’écosystème cutané associés à des désordres, mais aussi d’anticiper ce qui est encore invisible à l’œil.
Jusque dans les années 1990, dans les conditions standard de culture en laboratoire, les microbiologistes ne pouvaient détecter que moins de 1% de la flore bactérienne : ce faible pourcentage ne reflétait pas la réalité de l’ensemble de la flore puisque la croissance plus rapide de certaines espèces masquait la présence des plus lentes.
L’étude du microbiome humain a véritablement commencé en 2007 aux Etats-Unis lorsque le National Institute of Health a lancé le Human Microbiome Project. Ce projet ambitieux consistait à séquencer le génome de tous les microorganismes vivant habituellement à l’intérieur et à la surface de notre corps pour comprendre leur influence et leur rôle sur la santé humaine.
Aujourd’hui, grâce aux progrès technologiques considérables réalisés dans le séquençage génétique à haut débit, on accède à l’ensemble de ces espèces et on peut décrire cet univers bactérien de manière qualitative (famille, genre, espèce de bactéries) et quantitative (pourcentage des différentes bactéries présentes). Ces approches génomiques ont ainsi révélé une diversité bien plus importante que de simples cultures bactériennes.
Caractériser le microbiome de la peau, c’est-à-dire identifier l’ensemble des génomes des micro-organismes qui colonisent une région précise de la peau revient à déterminer la signature microbiologique de la peau. C’est essentiel, à la fois pour comprendre comment la perturbation de cet écosystème peut entraîner des désordres et comment préserver son équilibre.
Le microbiome humain est devenu un immense terrain de recherche et de développement pour les industries agro-alimentaires, pharmaceutiques, biotechnologiques, dermatologiques et cosmétiques.
Comment s’est fait lien entre appareil digestif et peau ?
La connaissance du microbiome s’est accélérée depuis 10 ans grâce aux progrès du séquençage du génome qui ont permis des analyses plus détaillées. Le microbiome cutané a largement bénéficié des études du microbiome intestinal beaucoup plus abondant : son étude a commencé très tôt car il était beaucoup plus facile d’accès et il représentait des enjeux de santé importants.
On a décrypté rapidement son rôle dans de grandes pathologies comme certaines inflammations intestinales, le diabète ou plus récemment son implication dans les cancers. Pour celui de la peau, l’enjeu technologique est important puisqu’elle abrite une bien plus faible quantité de microorganismes (en nombre absolu et en variété) que le système digestif, ce qui rend les analyses beaucoup plus difficiles.
L’étude a démarré par la cartographie de l’ensemble des sous-populations bactériennes hébergées dans toutes les zones du corps et en lien avec des pathologies, des désordres cutanés comme la dermatite atopique, ou le psoriasis. On a ainsi mis en évidence une singularité intéressante : on compte entre 500 et 1000 espèces de microorganismes différentes sur la peau, et entre 5000 à 10 000 pour l’appareil digestif.
Mais il y a des points communs entre les deux flores. Tout d’abord l’intestin représente lui aussi une barrière vis-à-vis de l’exposition externe. Ensuite un certain nombre de pathologies intestinales ont un impact cutané.
Par exemple, les personnes souffrant de pathologies inflammatoires intestinales sont souvent également sujettes à des pathologies cutanées comme le psoriasis. L’intestin et la peau sont des sites majeurs de surveillance immunologique et des études montrent un lien entre certaines pathologies de l’intestin et des affections de la peau : un tiers des patients souffrant de la maladie de Crohn souffrent de lésions psoriasiques et des cas d’infection de l’intestin par la bactérie Helicobacter pylori ont été associés à la rosacée.
Sur quoi portent vos dernières études ?
En parallèle nos équipes ont aussi montré au niveau du scalp les implications du microbiome chez les sujets souffrant de pellicules sur le cuir chevelu : la présence excessive de la levure malassezia (naturellement présente) et la diminution de certaines autres bactéries (Staphylococcus epidermidis, C acnes) sont associées à la présence de pellicules. Du coup, l’enjeu est donc de diminuer la présence de ces levures pour corriger ces états pelliculaires.
L’environnement joue-t-il un rôle sur l’état du microbiome ?
Oui. Plus récemment nous nous sommes intéressés au déséquilibre du microbiome en lien avec pollution et vie urbaine. De manière intéressante, nous avons montré que des personnes qui vivent dans un environnement urbain pollué ont un microbiome déséquilibré par rapport à celles qui vivent dans un environnement rural moins pollué. D’autres équipes de recherche ont confirmé ces mêmes tendances.
Les facteurs environnementaux, spécifiques à l’individu, tels que par exemple son lieu de vie, sa profession, ses vêtements ou sa consommation d’antibiotiques peuvent aussi moduler la colonisation de sa peau par les bactéries. Enfin, l’étude de bactéries présentes sur la peau des personnes vivant dans un environnement pollué ouvre de nouvelles pistes de recherche pour comprendre le déséquilibre et le lien avec les signes cliniques observés tels que désordres pigmentaires, états acnéiques…
Comment intervient-on sur ces microorganismes ?
Il y a trois façons d’intervenir pour apporter des bénéfices à la peau. La première, c’est de les nourrir en apportant des éléments nutritifs capables de favoriser leur développement : il s’agit, par exemple, de sources de carbone comme des sucres, des corps gras et des minéraux. On les appelle des prébiotiques.
La deuxième voie, ce sont les postbiotiques, un ensemble de molécules naturellement secrétées par les bactéries à la surface de la peau, qui miment ce que font les bactéries. Par exemple, certains acides gras à chaînes courtes participent à la récupération d’une bonne fonction barrière dans l’intestin. Une forme de greffe de bactéries.
La difficulté, c’est d’avoir des bactéries vivantes, stabilisées, de les conserver sous une forme qui leur permette de retrouver leur efficacité quand elles sont appliquées sur la peau. Il y a là un enjeu technologique de formulation sur lequel nos laboratoires de développement se concentrent activement.
A quoi peut-on rêver demain dans ce domaine ?
Le futur verra le développement de nouvelles approches diagnostiques basées sur la caractérisation du microbiome et de nouveaux régimes nutritionnels et stratégies thérapeutiques pour corriger les déséquilibres. L’équilibre et la diversité des microbiomes seront régulièrement contrôlés grâce à des tests diagnostiques. Et demain les traitements seront personnalisés.
La prochaine étape sera de pouvoir utiliser l’arsenal vivant du microbiome pour corriger les signes de l’âge, mieux prévenir les changements de notre peau et mieux traiter les désordres : corriger les taches et les irrégularités du teint, prévenir leur apparition.
A plus long terme, on pourra intervenir sur cet écosystème bactérien directement sur la peau ou en changeant ses habitudes de vie. On pourra aussi bientôt anticiper ces perturbations pour prévenir certaines pathologies comme les allergies cutanées ou l’apparition des pellicules sur le cuir chevelu. Ou décrypter le dialogue qu’entretiennent les bactéries avec le système immunitaire de la peau à l’origine des désordres cutanés. Manipuler cette flore sensible est encore à un stade de recherche, mais les connaissances avancent rapidement.
Différentes stratégies sont à l’étude, comme l’utilisation de bactériophages, des virus qui suppriment de façon très sélective les bactéries nuisibles, ou encore l’usage de prébiotiques, des molécules capables de modifier l’écosystème bactérien en favorisant la croissance de certaines espèces cutanées.
Enfin, grâce à des outils connectés en cours de finalisation, on pourra aussi procéder à un diagnostic quotidien, détecter en quelques minutes les changements du microbiome associés aux désordres de la peau et du cheveu, et déterminer par exemple quand utiliser un shampoing antipelliculaire avant même l’arrivée de cette desquamation disgracieuse. Et ainsi prévenir les récidives de l’acné, de l’eczéma voire éviter le recours aux antibiotiques.
Face aux multiples pouvoirs du microbiome cutané, la conviction de L’Oréal est que ce nouveau domaine de recherche ouvre un champ infini de possibilités pour améliorer l’état de notre peau ou de notre cuir chevelu. Il ne s’agit plus de s’intéresser uniquement aux cellules de la peau mais à l’ensemble de l’écosystème microbiome cutané pour apporter de nouvelles performances.
Nous ne considérons pas le microbiome simplement comme un monde complexe vivant à la surface de notre peau et qu’il faut respecter mais également comme un véritable allié pour apporter demain des solutions nouvelles à la cosmétique classique.
Luc AGUILAR est biologiste moléculaire de formation et cumule plus de 20 ans d’expérience dans l’industrie biotechnologique, pharmaceutique et cosmétique. Il a rejoint le groupe L’Oréal il y a huit ans pour créer le département de biotechnologie en recherche avancée. Il dirige aujourd’hui les groupes de recherche biologique et clinique dédiés au microbiome et à l’Exposome de la peau.