D’où vous est venue l’idée de cette comédie ?
Elle est née à la mort de mon père… Je me suis demandé comment j’allais pouvoir sortir de l’état de « manque » et de « sidération » dans lequel sa disparition m’avait laissé, autrement dit, comment j’allais arriver à dépasser, à « sublimer » ce deuil…
Ma névrose première étant d’écrire, assez logiquement, j’ai décidé de m’atteler à un texte dans lequel mon père, désormais absent, serait, quand même, omniprésent.
Ma mère avait été le point de départ de Mes Héros, mon couple, celui du Goût des Merveilles, mon père serait le point de départ de celui-là. Cela peut paraître fou, mais quand je me suis mis devant mon ordinateur, j’ai eu immédiatement l’impression d’écrire à quatre mains. De le sentir au-dessus de mon épaule.
J’écrivais en essayant de le faire sourire. En cherchant un ton qui lui plairait. Cette histoire de conversation entre un père disparu et son fils est un peu une mise en abîme de ce que j’ai ressenti, pour ne pas dire, vécu.
Vous avez vraiment parlé à feu votre père, le cinéaste Jacques Besnard, devant vos proches ?
Non, mais c’est tout comme ! (Rire). Je suis un scénariste compulsif. Quoiqu’il arrive, j’écris tous les jours, et tous les jours, je converse avec mes personnages. Ceux des scénarios en cours mais aussi ceux des textes rangés dans mes tiroirs. Ceux-là essaient de me culpabiliser en me demandant de travailler sur leurs histoires qu’ils estiment prioritaires.
Ma tête est une tour de Babel. S’y côtoient des gens de toutes sortes, de toutes époques et beaucoup ont mauvais caractère. Comme tous m’interpellent et m’engueulent, je leur réponds en imaginant des scènes et des dialogues. Souvent à voix haute. Résultat, un jour un de mes fils m’a mis au défi, contre cinquante euros, de passer une journée sans parler tout seul. Je ne me souviens pas avoir gagné !
Pour mes proches, malheureusement, même si je suis physiquement présent, mon esprit est souvent ailleurs. C’est un des points de départ du script et j’ai mis l’anecdote dans le film.
Pourquoi, dans votre film, avez-vous choisi de faire réapparaître physiquement ce père décédé ?
L’Esprit de famille n’est pas un film de « fantômes ». C’est un film sur les symptômes de la persistance, en soi, de la présence des êtres aimés disparus. Des êtres dont on se dit qu’on aurait dû passer plus de temps avec eux, auxquels on a l’impression d’avoir oublié de dire des choses essentielles, et dont on pense qu’ils auraient pu nous apporter encore beaucoup.
Redonnez-moi trois minutes avec lui ou elle. Juste quelques secondes. Quelques mots. Les morts se dissolvent dans l’éternité. Ceux qui restent doivent se résoudre à dialoguer avec eux par l’esprit. Mais au cinéma, médium de toutes les licences, on peut se permettre l’impossible.
Le manque est tel que le fils fait apparaître le père. La présence matérialise la force de l’absence. Et permet de rendre hommage à un esprit facétieux amoureux du réel, de la vie, et de l’incarnation. Le dernier tour de piste de l’artiste…
Vous avez fait du père de votre film un homme plutôt goguenard, assez « interventionniste » et très « râleur ». En matière de conseils à son fils, il y va fort, ce qui génère de sacrées engueulades avec lui…
Je vous arrête ! Même s’il est un clin d’œil à mon père, L’Esprit de famille reste une fiction. Dans ma vraie vie, j’avais une relation très douce avec mon père. Les gens heureux n’ayant pas d’histoire, il a bien fallu que je nous en invente une. Je suis parti de ce que nous étions, lui, moi, et ceux qui nous entouraient, et j’ai poussé tous les curseurs.
Parfois assez loin…
Le père de mon fi lm n’est donc pas un portrait fidèle de mon vrai père. Je l’ai à la fois « durci » en lui donnant un côté péremptoire, et « adouci » en faisant de lui un hédoniste proche du Zorba de Michael
Cacoyannis. Mon père ne dansait pas nu sur les plages et je n’ai jamais cassé ses voitures à coups de maillet. En revanche, il est vrai qu’à l’instar du personnage, il était souvent absent pour des raisons professionnelles.
Mais contrairement à ce qui est dit dans le film, cela n’a pas été une source de conflit. Enfant, je me suis structuré sur cet état de fait. Comme le font aujourd’hui mes propres enfants quand à mon tour, je pars en tournage. Toutes les personnes qui travaillent impriment leur rythme de vie à leurs familles. Heureusement, la plupart du temps, sans trop grand traumatisme pour leurs enfants.
Alexandre, c’est donc vous ?
Forcément un peu. Mais je crois que je suis aussi le père et le petit fils. Emma Bovary mais aussi Charles et Rodolphe… En tous cas, c’est un personnage de transfert, comme l’avait été le Maxime de Mes Héros (joué par Clovis Cornillac) ou le Pierre du Goût des merveilles (interprété par Benjamin Lavernhe). C’est très agréable de s’inventer un personnage de transfert. On y met des choses de soi, et à partir de là, on brode, avant d’aller chercher l’acteur qui pourra à son tour se projeter dans le rôle et l’enrichir encore plus.
Au bout du compte, dans le film, l’image que vous donnez de vous est celle que pourrait renvoyer un miroir déformant.
Et, comme dans une fête foraine, parfois le miroir vous rend drôle et parfois il vous rend vraiment moche. Pour en revenir à votre question, même si chez moi le réel et l’imaginaire se font souvent concurrence, j’ose espérer que je ne suis pas aussi « égoïste », « beige », « taupe » et enfermé sur lui-même qu’Alexandre. (Rire)
Pourquoi François Berléand dans le rôle du père ?
François est un ami depuis longtemps. Il a tourné dans mon premier court-métrage et dans mon premier long-métrage. Et j’ai écrit des rôles pour lui dans les tous les films qui ont suivi. Pour des raisons diverses ce n’est pas toujours lui qui a interprété le rôle. Mais c’est vous dire combien il est dans ma tête.
Et puis il connaissait mon père. Avant de tourner avec moi, il avait travaillé avec lui. Ils avaient une estime mutuelle l’un pour l’autre. J’ai écrit le rôle de Jacques, en hommage à mon père… et fort de l’existence de François. Quand j’ai fait lire le scénario aux producteurs je les ai prévenus que nous arrivions à trois : Berléand, Cat Stevens et moi. C’était un package deal non négociable.
J’étais en outre très content de permettre à François de sortir du registre pour lequel le cinéma l’emploie trop souvent, le cynique, et qui est l’exact contraire de ce qu’il est dans la vie. J’aime cet homme. Et le voir dans ce personnage d’hédoniste qui incite son fils à mordre la vie à pleines dents m’a fait profondément plaisir. Sur le plateau nous n’avions pas besoin de nous parler. Il savait exactement ce que j’attendais de lui.
Demander à un acteur de faire croire à la « normalité » de la réapparition charnelle d’un disparu est une mission ardue…
Pour être la mère, vous avez choisi Josiane Balasko…
C’est la deuxième fois que Josiane incarne ma mère. Deux mères pourtant très différentes. Dans Mes Héros, elle en avait joué une « mamie gâteau ». Là, changement de registre, j’ai voulu qu’elle soit, non seulement une mère avec un caractère fort, mais une femme élégante, coquette et surtout, amoureuse.
Josiane s’est emparée du rôle avec sa finesse de jeu habituelle. C’est une très grande actrice. Dans les moments d’émotion, elle est capable de faire pleurer tout le plateau, y compris le caméraman. Quand, ensuite, vous allez lui dire qu’elle vous a bouleversé, elle vous explique que, dans son métier, ce qui est vraiment compliqué c’est de faire rire.
Josiane se cache beaucoup derrière ce don qu’elle a pour la comédie. J’adorerais lui proposer un grand rôle dramatique, un rôle à la Simone Signoret. Je l’ai déjà fait une fois mais nous n’avons pas réussi à monter le film. Je ne perds pas espoir.
Pour en revenir au film… S’il parle de la sublimation du deuil du père, il est aussi le récit d’un fils qui va s’affranchir de lui-même…
Les deux sont intimement liés. Jusqu’à la mort de son père, le fils, écrivain, vivait enfermé dans son monde de mots et d’histoires, incapable, par manque de confiance en lui, d’affronter le réel. Ce sont les « visites » intempestives de feu son père qui vont, petit à petit, le pousser à aller vers la vie, la vraie, celle où on prend le vent, le soleil et le sourire des autres, celle où on aime et où on peut apprendre et s’autoriser à être heureux.
Sortir de nos bulles, envoyer valser nos barrières quelles qu’elles soient, pour aller vers les pulsions de vie… Si L’Esprit de famille a un message, c’est bien celui-là. C’est d’ailleurs le message récurrent du cinéma que je fais aujourd’hui. C’était, par exemple, celui du Goût des Merveilles où en acceptant de tendre la main à un autiste Asperger, une jeune veuve parvenait à briser la solitude de son veuvage.
Ce sera aussi celui de mon prochain film qui traitera du dépassement d’autres passions tristes à savoir la résignation et la vengeance. La rencontre de l’autre permettant de faire éclater ces bulles claustrophobiques.
Avec : Guillaume de Tonquedec, François Berléand, Josiane Balasko, Isabelle Carré, Jérémy Lopez de la comédie française et Marie-Julie Baup
Durée : 1h38
Elle est née à la mort de mon père… Je me suis demandé comment j’allais pouvoir sortir de l’état de « manque » et de « sidération » dans lequel sa disparition m’avait laissé, autrement dit, comment j’allais arriver à dépasser, à « sublimer » ce deuil…
Ma névrose première étant d’écrire, assez logiquement, j’ai décidé de m’atteler à un texte dans lequel mon père, désormais absent, serait, quand même, omniprésent.
Ma mère avait été le point de départ de Mes Héros, mon couple, celui du Goût des Merveilles, mon père serait le point de départ de celui-là. Cela peut paraître fou, mais quand je me suis mis devant mon ordinateur, j’ai eu immédiatement l’impression d’écrire à quatre mains. De le sentir au-dessus de mon épaule.
J’écrivais en essayant de le faire sourire. En cherchant un ton qui lui plairait. Cette histoire de conversation entre un père disparu et son fils est un peu une mise en abîme de ce que j’ai ressenti, pour ne pas dire, vécu.
Vous avez vraiment parlé à feu votre père, le cinéaste Jacques Besnard, devant vos proches ?
Non, mais c’est tout comme ! (Rire). Je suis un scénariste compulsif. Quoiqu’il arrive, j’écris tous les jours, et tous les jours, je converse avec mes personnages. Ceux des scénarios en cours mais aussi ceux des textes rangés dans mes tiroirs. Ceux-là essaient de me culpabiliser en me demandant de travailler sur leurs histoires qu’ils estiment prioritaires.
Ma tête est une tour de Babel. S’y côtoient des gens de toutes sortes, de toutes époques et beaucoup ont mauvais caractère. Comme tous m’interpellent et m’engueulent, je leur réponds en imaginant des scènes et des dialogues. Souvent à voix haute. Résultat, un jour un de mes fils m’a mis au défi, contre cinquante euros, de passer une journée sans parler tout seul. Je ne me souviens pas avoir gagné !
Pour mes proches, malheureusement, même si je suis physiquement présent, mon esprit est souvent ailleurs. C’est un des points de départ du script et j’ai mis l’anecdote dans le film.
Pourquoi, dans votre film, avez-vous choisi de faire réapparaître physiquement ce père décédé ?
L’Esprit de famille n’est pas un film de « fantômes ». C’est un film sur les symptômes de la persistance, en soi, de la présence des êtres aimés disparus. Des êtres dont on se dit qu’on aurait dû passer plus de temps avec eux, auxquels on a l’impression d’avoir oublié de dire des choses essentielles, et dont on pense qu’ils auraient pu nous apporter encore beaucoup.
Redonnez-moi trois minutes avec lui ou elle. Juste quelques secondes. Quelques mots. Les morts se dissolvent dans l’éternité. Ceux qui restent doivent se résoudre à dialoguer avec eux par l’esprit. Mais au cinéma, médium de toutes les licences, on peut se permettre l’impossible.
Le manque est tel que le fils fait apparaître le père. La présence matérialise la force de l’absence. Et permet de rendre hommage à un esprit facétieux amoureux du réel, de la vie, et de l’incarnation. Le dernier tour de piste de l’artiste…
Vous avez fait du père de votre film un homme plutôt goguenard, assez « interventionniste » et très « râleur ». En matière de conseils à son fils, il y va fort, ce qui génère de sacrées engueulades avec lui…
Je vous arrête ! Même s’il est un clin d’œil à mon père, L’Esprit de famille reste une fiction. Dans ma vraie vie, j’avais une relation très douce avec mon père. Les gens heureux n’ayant pas d’histoire, il a bien fallu que je nous en invente une. Je suis parti de ce que nous étions, lui, moi, et ceux qui nous entouraient, et j’ai poussé tous les curseurs.
Parfois assez loin…
Le père de mon fi lm n’est donc pas un portrait fidèle de mon vrai père. Je l’ai à la fois « durci » en lui donnant un côté péremptoire, et « adouci » en faisant de lui un hédoniste proche du Zorba de Michael
Cacoyannis. Mon père ne dansait pas nu sur les plages et je n’ai jamais cassé ses voitures à coups de maillet. En revanche, il est vrai qu’à l’instar du personnage, il était souvent absent pour des raisons professionnelles.
Mais contrairement à ce qui est dit dans le film, cela n’a pas été une source de conflit. Enfant, je me suis structuré sur cet état de fait. Comme le font aujourd’hui mes propres enfants quand à mon tour, je pars en tournage. Toutes les personnes qui travaillent impriment leur rythme de vie à leurs familles. Heureusement, la plupart du temps, sans trop grand traumatisme pour leurs enfants.
Alexandre, c’est donc vous ?
Forcément un peu. Mais je crois que je suis aussi le père et le petit fils. Emma Bovary mais aussi Charles et Rodolphe… En tous cas, c’est un personnage de transfert, comme l’avait été le Maxime de Mes Héros (joué par Clovis Cornillac) ou le Pierre du Goût des merveilles (interprété par Benjamin Lavernhe). C’est très agréable de s’inventer un personnage de transfert. On y met des choses de soi, et à partir de là, on brode, avant d’aller chercher l’acteur qui pourra à son tour se projeter dans le rôle et l’enrichir encore plus.
Au bout du compte, dans le film, l’image que vous donnez de vous est celle que pourrait renvoyer un miroir déformant.
Et, comme dans une fête foraine, parfois le miroir vous rend drôle et parfois il vous rend vraiment moche. Pour en revenir à votre question, même si chez moi le réel et l’imaginaire se font souvent concurrence, j’ose espérer que je ne suis pas aussi « égoïste », « beige », « taupe » et enfermé sur lui-même qu’Alexandre. (Rire)
Pourquoi François Berléand dans le rôle du père ?
François est un ami depuis longtemps. Il a tourné dans mon premier court-métrage et dans mon premier long-métrage. Et j’ai écrit des rôles pour lui dans les tous les films qui ont suivi. Pour des raisons diverses ce n’est pas toujours lui qui a interprété le rôle. Mais c’est vous dire combien il est dans ma tête.
Et puis il connaissait mon père. Avant de tourner avec moi, il avait travaillé avec lui. Ils avaient une estime mutuelle l’un pour l’autre. J’ai écrit le rôle de Jacques, en hommage à mon père… et fort de l’existence de François. Quand j’ai fait lire le scénario aux producteurs je les ai prévenus que nous arrivions à trois : Berléand, Cat Stevens et moi. C’était un package deal non négociable.
J’étais en outre très content de permettre à François de sortir du registre pour lequel le cinéma l’emploie trop souvent, le cynique, et qui est l’exact contraire de ce qu’il est dans la vie. J’aime cet homme. Et le voir dans ce personnage d’hédoniste qui incite son fils à mordre la vie à pleines dents m’a fait profondément plaisir. Sur le plateau nous n’avions pas besoin de nous parler. Il savait exactement ce que j’attendais de lui.
Demander à un acteur de faire croire à la « normalité » de la réapparition charnelle d’un disparu est une mission ardue…
Pour être la mère, vous avez choisi Josiane Balasko…
C’est la deuxième fois que Josiane incarne ma mère. Deux mères pourtant très différentes. Dans Mes Héros, elle en avait joué une « mamie gâteau ». Là, changement de registre, j’ai voulu qu’elle soit, non seulement une mère avec un caractère fort, mais une femme élégante, coquette et surtout, amoureuse.
Josiane s’est emparée du rôle avec sa finesse de jeu habituelle. C’est une très grande actrice. Dans les moments d’émotion, elle est capable de faire pleurer tout le plateau, y compris le caméraman. Quand, ensuite, vous allez lui dire qu’elle vous a bouleversé, elle vous explique que, dans son métier, ce qui est vraiment compliqué c’est de faire rire.
Josiane se cache beaucoup derrière ce don qu’elle a pour la comédie. J’adorerais lui proposer un grand rôle dramatique, un rôle à la Simone Signoret. Je l’ai déjà fait une fois mais nous n’avons pas réussi à monter le film. Je ne perds pas espoir.
Pour en revenir au film… S’il parle de la sublimation du deuil du père, il est aussi le récit d’un fils qui va s’affranchir de lui-même…
Les deux sont intimement liés. Jusqu’à la mort de son père, le fils, écrivain, vivait enfermé dans son monde de mots et d’histoires, incapable, par manque de confiance en lui, d’affronter le réel. Ce sont les « visites » intempestives de feu son père qui vont, petit à petit, le pousser à aller vers la vie, la vraie, celle où on prend le vent, le soleil et le sourire des autres, celle où on aime et où on peut apprendre et s’autoriser à être heureux.
Sortir de nos bulles, envoyer valser nos barrières quelles qu’elles soient, pour aller vers les pulsions de vie… Si L’Esprit de famille a un message, c’est bien celui-là. C’est d’ailleurs le message récurrent du cinéma que je fais aujourd’hui. C’était, par exemple, celui du Goût des Merveilles où en acceptant de tendre la main à un autiste Asperger, une jeune veuve parvenait à briser la solitude de son veuvage.
Ce sera aussi celui de mon prochain film qui traitera du dépassement d’autres passions tristes à savoir la résignation et la vengeance. La rencontre de l’autre permettant de faire éclater ces bulles claustrophobiques.
Avec : Guillaume de Tonquedec, François Berléand, Josiane Balasko, Isabelle Carré, Jérémy Lopez de la comédie française et Marie-Julie Baup
Durée : 1h38