Place aux jeunes : un film de 1937 qui abordait déjà les questions intergénérationnelles

Action Cinémas/théâtre du temple, avec le concours du Centre National de la Cinématographie (CNC) et de l’Assistance publique présente en copie neuve aux spectateurs parisiens à partir du 23 janvier 2008, le film Place aux jeunes (Make Way For Tomorrow) réalisé en 1937 par l’Américain Léo McCarey. Sept décennies nous séparent de cette œuvre, qui reste pourtant, d’une cruelle actualité. A (re)découvrir.

PAR SENIORACTU.COM | Publié le 15/01/2008

De plus en plus de nouveaux films ont pour sujets des problématiques concernant les seniors. Faut que ça danse de Noémie Lvovsky qui traite des aventures d’un octogénaire qui cherche à jouir de chaque instant, Loin d’elle qui aborde avec justesse les terribles conséquences de la maladie d’Alzheimer, Sous les toits de Paris qui évoque la solitude des aînés ou très prochainement, Cortex, un polar qui se déroule dans une maison de retraite.

Bref, les cinéastes d’aujourd’hui commencent –enfin- à évoquer et intégrer dans leurs œuvres, d’une manière ou d’une autre, des thématiques « senior ».

De son côté, Action Cinémas/théâtre du temple a décidé de faire redécouvrir au public parisien un vieux film de 1937, Make Way For Tomorrow (en français Place aux jeunes) de Léo McCarey qui abordait déjà à l’époque des questions intergénérationnelles… Un vieux couple, Lucy et Barkley Cooper, réunissent leurs enfants pour leur annoncer qu'ils risquent de perdre leur maison s'ils ne trouvent pas rapidement une somme relativement importante. Chacun des enfants a une bonne raison d'échapper à cette facture. Il est finalement décidé que Lucy ira habiter chez Georges, et Barkley chez Cora jusqu'a ce que Nellie ait un appartement assez grand pour les héberger ensemble. Mais, la cohabitation s'avère vite difficile.

Comme le souligne Christelle Taillibert de Chronicart, « Place aux jeunes mérite aujourd'hui d'être redécouvert à l'occasion de sa nouvelle sortie en salle, dans une société où le problème du rejet et de l'exclusion de nos vieux se fait chaque jour plus crucial ». .../...

Points de vue

De Jacques Lourcelles, Dictionnaire du cinéma, Ed. Robert Laffont.
C’est, malgré son insuccès notoire, le film préféré de McCarey (et comme on le comprend !). Sans s’en rendre compte, emporté par sa sincérité, McCarey franchit ici la limite à partir de laquelle le grand public américain (avec qui il sera en symbiose durant la plus grande partie de sa carrière) ne pouvait plus le suivre et rejeta ce mélange unique et détonant d’émotion, d’amertume, de cruauté et de colère rentrée. C’est peu dire que Make Way For Tomorrow est dépourvu de happy end. Son dénouement – la séparation définitive des vieux époux – est plus bouleversante et plus insupportable qu’une fin franchement tragique qui montrerait par exemple la mort de l’un ou l’autre conjoint.

Ceci aurait eu au moins un aspect naturel, plus acceptable pour le public. Cette séparation est au contraire anti-naturelle au possible et oblige le spectateur à réfléchir sur un type de société qui permet qu’un vieux couple de parents ayant élevé cinq enfants aux situations somme toute confortables en soit réduit à cette extrémité, et le soit avec douceur et hypocrisie par une sorte de consentement universel.

McCarey veut nous amener à poser sur la société un regard non seulement social mais moral, et la morale passe toujours chez lui par ce climat d’émotion et de communication étonnant qu’il sait susciter entre les personnages et le spectateur. En ce qui concerne le dénouement, il n’est rien d’autre que le point d’orgue, la conclusion irrémédiablement logique d’une intrigue où les deux héros auront toujours été montrés séparés, sauf dans la scène d’introduction et dans leur longue déambulation finale (dont certains aspects ne sont pas sans ressemblance avec la pièce de Beckett « Oh ! les beaux jours »).

La séparation des deux époux, cette mort plus cruelle que la mort, est le vrai sujet du film et découle, comme une conséquence morale terrifiante, de ce gouffre dont on dit qu’il sépare aussi les générations.

D’Olivier Gamble, Dictionnaire des films, Ed. Robert Laffont, 1997.
L. McCarey réalise un chef-d’œuvre de réalisme et de sensibilité, traitant de l’évolution des mœurs et de la société. Il pose un regard surprenant d’amertume sur la place des vieillards au sein d’une société matérialiste et refermée sur elle-même : l’argent étant un obstacle à la reconnaissance et à l’existence même de l’être humain. McCarey fait preuve d’admiration, de bienveillance, de compassion, de douleur et de tristesse profonde. Admiration et douceur envers la qualité de vie du couple et le respect du monde extérieur pour eux ; bienveillance envers ceux qui se montrent attentifs et disponibles malgré les difficultés ; compassion envers l’attitude du couple et de certain de leurs enfants ; tristesse, enfin, pour ces enfants à qui les parents ont tout donné et qui ne récoltent qu’ingratitude, allant jusqu’à la gêne et l’indifférence. Le dernier plan sur la mère qui vient d’envoyer son mari en Californie, renvoie au début du film, sur ce carton qui dit que la seule base capable de réunir l’ancien et le moderne est le commandement : « tu honoreras ton père et ta mère. »

De Christel Taillibert, Chronicart
Au sein de l'œuvre de Leo McCarey, placée sous le signe de la comédie et de la légèreté, Place aux jeunes occupe une place totalement à part. Le cinéaste y aborde en effet un sujet douloureux, par ailleurs très rarement traité au cinéma : la détresse d'un couple de vieillards privés de ressources, contraints à quitter leur maison et à cohabiter tant bien que mal avec leurs enfants, lesquels n'acceptent qu'à contrecœur la gêne occasionnée.

La vieillesse malheureuse est et était à l'époque une vision difficilement acceptable pour les spectateurs : si un enfant misérable ou persécuté provoque tristesse et chagrin, les mêmes servitudes affligées à une personne âgée suscitent au contraire un profond malaise.

Contrairement au réalisme noir qui caractérisait Vittorio de Sica dans Umberto D, Leo McCarey s'accorde ici de larges digressions dans le registre de la comédie. Si ces dernières allègent sans conteste le ton du film, elles n'en contribuent pas moins à accentuer le sentiment de culpabilité latente qui accapare l'observateur de cet odieux spectacle. L'intolérance de ces enfants déchirés entre leur désir de satisfaire leur bonne conscience et leur égoïsme naturel est d'autant plus insupportable qu'elle est opposée à la parfaite lucidité de deux petits vieux qui se sentent responsables de leur insouciance financière et se réconfortent l'un l'autre d'un amour que les années n'ont en rien entaché. La brutalité du discours est en outre renforcée par l'absence du « happy end » hollywoodien conventionnel : le film se conclue en effet par la séparation du malheureux couple, chacun étant placé dans des maisons de retraite d'une humanité fort douteuse.

Pour réaliser ce film, Leo McCarey mit au service de l'émotion et de la dénonciation sociale son talent narratif et dramatique. Comme dans ses meilleures comédies, sa verve naturelle soutient un récit dont la perfection n'a d'égale que sa simplicité. Petit à petit, inéluctablement, les grands-parents qui au début n'étaient que gênants deviennent indésirables. C'est en s'attachant à des détails, à des sons, à des regards, qu'il matérialise le gigantesque fossé qui sépare chaque jour un peu plus les deux générations.

Pour ces différentes raisons, Place aux jeunes mérite aujourd'hui d'être redécouvert à l'occasion de sa nouvelle sortie en salle, dans une société où le problème du rejet et de l'exclusion de nos vieux se fait chaque jour plus crucial.

Place aux jeunes (Make way for tomorrow - 1937)
Réalisation Leo McCarey
Scénario Vina Delmar (d’après le roman de Josephine Lawrence et la pièce de Helen et Noah Leary)
Image William C. Mellor
Musique George Anthiel, Victor Young
Décors A. E. Freudeman
Montage LeRoy Stone
Durée 91 mn
Format N&B/1:37

Avec Victor Moore, Beulah Bondi, Fay Bainter, Thomas Mitchell, Porter Hall, Barbara Read, Maurice Moscovitch, Elizabeth Risdon, Minna Gombell, Ray Meyer

Léo McCarey

Leo McCarey (du nom de sa mère française Léona) commence par boxer en amateur dans la catégorie poids moyen, tout en pratiquant le droit de manière plutôt maladroite, sous la pression de son père. Après s'être blessé en tombant d'une cage d'ascenseur, il utilise les 5.000 dollars payés par l'assurance pour investir dans une mine de cuivre. Celle-ci fait un dépôt de bilan peu de temps après. Il devient conseiller juridique pour une compagnie minière avant d'ouvrir des cabinets d'avocats à Los Angeles : l'affaire durera un an avant la faillite. On dit qu'il n'avait pas le cœur de défendre des gens dont il savait qu'ils étaient coupables ! Puisque le droit de marche pas, il s'essaie à l'écriture de chansons : ce sera un autre échec, quand bien même il en aura écrit un bon millier à la fin de sa vie.

Il rencontre en 1918 l'acteur David Butler sur un parcours de golf. Ce dernier l'introduit dans le monde du cinéma. Il fait ses débuts en tant qu'assistant au scénario pour Tod Browning sur le film La Vierge d'Istanbul, et travaillera pour lui jusqu'en 1923, date à laquelle il rejoint l'équipe d'Hal Roach au sein des studios Paramount. Travaillant d'abord comme assistant réalisateur et gagman, il réalise ensuite près de 300 films d'un quart d'heure où il a l'occasion de diriger Charlie Chase, W.C. Fields et Stan Laurel. On s'accorde aujourd'hui à le créditer comme étant à l'origine du fameux duo ayant associé Laurel à Oliver Hardy pour Putting Pants on Philip, en 1926.

En 1929, The Sophomore est son premier long métrage. Jouissant déjà d'une bonne réputation à Hollywood, il quitte Hal Roach l'année suivante et réalise L' Imprudente, avec la future héroïne du Boulevard du crépuscule, Gloria Swanson. S'il s'y montre très bon directeur d'acteurs, la genèse du film raconte qu'il aurait réécrit le scénario dix jours avant le tournage... Il en fait par la suite une méthode de travail, seul maître du script qu'il est le seul à posséder, ne donnant ses indications aux comédiens et à l'équipe technique qu'au jour le jour. Il signe pour la Paramount La Soupe au canard, comédie farfelue avec la bande des frères Marx, en 1933. Ce succès lui permet de réaliser ensuite L' Extravagant Mr Ruggles avec un casting de stars de premier plan, comme Charles Laughton, Mary Boland et Charles Ruggles.

Il propose de renoncer à son salaire pour faire passer le projet de Place aux jeunes à la Paramount : l'échec commercial du film lui vaut d'être renvoyé du studio sans autre forme de procès. Il rebondit en passant à la Columbia pour un contrat d'un film intitulé Cette sacrée vérité, première collaboration avec Cary Grant. Cette « screwball comedy » permet à McCarey d’obtenir son premier Oscar du meilleur réalisateur. Vient ensuite Love Affair (1939) avec Irene Dunne et Charles Boyer. Blessé dans un accident de voiture, il est incapable d'assurer la réalisation de My Favorite Wife (1940), qu'il se contentera de produire.

Au sortir de la deuxième guerre mondiale, en 1944, La Route semée d'étoiles est un énorme succès public et critique, qui lui vaut les trois Oscars majeurs : meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur scénario. Il inaugure ainsi un club d'élite très fermé, puisque ses autres membres se comptent au nombre de quatre: Billy Wilder, Francis Ford Coppola, James L. Brooks et Peter Jackson.

L'année suivante Les Cloches de Sainte-Marie remporte presque autant de succès et est à nouveau nominé à l'Oscar. Il est alors le réalisateur et employé le mieux payé du pays, avec un salaire annuel de plus d'un million de dollars, et en profite pour monter sa propre compagnie, Rainbow Productions, qui sera revendue à la Paramount six ans plus tard.

Anti-communiste convaincu, il adhère aux vues du sénateur McCarthy pendant la Chasse aux sorcières, témoigne contre ses confrères devant la Commission Parlementaire sur les Activités Anti-Américaines, écrit et réalise My Son John, portrait caricatural de la lutte d'une famille américaine en lutte contre la « menace rouge »... Ce qui n'empêchera pas Jean Renoir de déclarer à son propos « personne d'autre que lui à Hollywood n'a mieux compris les gens ».

De la dernière période de sa vie, on retiendra Elle et lui (1957) avec Cary Grant et Deborah Kerr, remake de son Love Affair (1939), ainsi que Une histoire de Chine, avec William Holden, histoire d'amour platonique sous fond d'anticommunisme.










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