Tranquillisants, somnifères et… Alzheimer

Début octobre, le scoop du magazine Sciences et Avenir jette l'effroi en pointant du doigt une famille d'anxiolytiques et de somnifères, les benzodiazépines, comme responsable de la survenue chaque année de 16 000 à 31 000 nouveaux cas d'Alzheimer en France. Doit-on alors envisager une interdiction des benzodiazépines ? s’interroge la Cité des Sciences et de l'Industrie dans un communiqué…

PAR SENIORACTU.COM | Publié le Jeudi 27 Octobre 2011

Cette annonce prématurée (l'étude épidémiologique sur laquelle s'appuie Sciences et Avenir ne devrait être publiée qu'à la fin de l'année) a suscité beaucoup d'inquiétude.

Car les benzodiazépines figurent aux premiers rangs des psychotropes consommés en France, qui est par ailleurs championne du monde en la matière (un Français sur quatre a consommé au moins un médicament psychotrope au cours des douze derniers mois et 15 à 20% des Français prendraient des benzodiazépines de manière plus ou moins régulière).

Les quatre grandes familles de psychotropes

Quels sont les modes d'action des benzodiazépines et des antidépresseurs ? Il existe quatre grandes familles de psychotropes : les anxiolytiques (tranquillisants) et somnifères qui sont à 80% des benzodiazépines, les antidépresseurs, les antipsychotiques (destinés au traitement des maladies mentales comme la schizophrénie, par exemple) et les thymorégulateurs pour les troubles bipolaires.

Les benzodiazépines sont utilisées depuis les années 1970 dans le traitement de l'anxiété, de l'insomnie, de l'agitation psychomotrice, des convulsions, des spasmes, ou dans le contexte d'un syndrome de sevrage alcoolique. Ce sont des médicaments symptomatiques c'est-à-dire qu'ils n'agissent que sur les symptômes sans intervenir sur les causes de ces troubles. Les principales benzodiazépines commercialisées en France sont le Valium, le Témesta, le Xanax, le Lexomil, le Stilnox, le Mogadon, le Myolastan, le Nordaz, le Tranxène, le Seresta et l'Imovane.

Les benzodiazépines, ça marche !
Questionnée sur le sujet, Maryse Lapeyre-Mestre, pharmaco-épidémiologiste à l'Inserm, remet les choses en place : « Tant que le risque de développer une maladie d'Alzheimer n'est pas avéré, ce serait vraiment une énorme erreur que d'interdire ou de diaboliser un peu plus les benzodiazépines. On connaît leur efficacité à court terme, leur utilité pour un très large éventail de patients et leurs marges de sécurité sont assez bien maîtrisées. Des expériences, comme celle tentée dans l'État de New York dans les années 1990, ont montré que durcir l'accès à ces médicaments avait pour effet de déplacer la prescription vers d'autres produits moins efficaces et plus dangereux. »

Et Florence Vorspan, médecin psychiatre à l'hôpital Fernand-Widal, d'enfoncer le clou : « Le problème des benzodiazépines, c'est que ça marche ! Et que leur effet est immédiat. Si l'on fait l'inventaire des alternatives possibles, il y a les antidépresseurs mais leur efficacité ne se fait sentir qu'après plusieurs semaines. Ou les techniques de relaxation et les psychothérapies qui demandent du temps. Quant aux plantes, la phytothérapie, soyons clair, cela ne marche pas. »

La consommation chronique sous surveillance

Immédiatement efficaces, les « benzo » sont suspectées de perdre de leur action au fil du temps en créant chez les consommateurs une accoutumance, voire même une dépendance, et des symptômes de sevrage difficiles à surmonter.

De fait, l'État français a légiféré en 1991 et en 2001 sur le sujet, en limitant la prescription des somnifères à quatre semaines et celles des anxiolytiques à trois mois. Une législation qui n'a pas été suivie d'effet : selon une enquête citée dans le rapport de l'Opeps en 2006, 30% des consommateurs de psychotropes (toutes familles confondues) en prendraient depuis au moins deux ans. Faut-il pour autant en conclure que ces patients, consommateurs chroniques de benzodiazépines, agissent comme des toxicomanes, et que ceux qui s'y adonnent par intermittence jouent avec le feu.

Une susceptibilité individuelle difficile à diagnostiquer

« Il existe une grande variabilité individuelle à ces traitements. Parmi les personnes qui ont des manifestations d'anxiété ou des insomnies légères, lesquelles vont devenir dépendantes, lesquelles vont avoir plus de bénéfice à ces traitements que d'effets secondaires, c'est très compliqué à déterminer. Quant aux consommateurs chroniques, certains patients vont devoir augmenter les doses, d'autres n'augmenteront pas les doses mais auront des difficultés à arrêter, et d'autres enfin ne seront pas dépendants et continueront par habitude. Il y a certainement des susceptibilités individuelles en terme d'absorption, de métabolisme et d'élimination de ces médicaments que l'on ne connaît pas et qui entrent en jeu », constate dans sa pratique Florence Vorspan.

Qui poursuit : « Alors que l'on a aucune idée de la répartition de ces différents types cliniques dans la population, on brandit l'accoutumance et les difficultés de sevrage comme on brandirait un épouvantail alors que pour beaucoup de patients qui souffrent d'anxiété ou d'insomnie chronique, la balance bénéfice-risque reste positive. Tant que le risque d'Alzheimer n'est pas avéré... »

Informer des risques, une priorité surtout en direction des personnes âgées

C'est chez les personnes âgées que l'on rencontre la population la plus à risque. Les effets secondaires du produit -somnolence, troubles de l'équilibre et de la mémoire- seraient chez elles particulièrement délétères en augmentant les risques de chutes, de confusion et de somnolence excessive. Selon la Haute Autorité de Santé (HAS), entre 20 et 30% des personnes âgées consomment de manière chronique des anxiolytiques ou des somnifères et certains vont jusqu'à associer plusieurs traitements en même temps.

Armelle Leperre-Desplanques, qui pilote le programme de la HAS sur l'amélioration de la prescription de psychotropes chez le sujet âgé, insiste : « pour les personnes âgées le rapport bénéfice-risque n'est pas bon. L'usage excessif de somnifères est trop souvent là pour répondre à une évolution physiologique qui est que, naturellement, en vieillissant, la qualité de sommeil évolue. La Haute Autorité de Santé a fait des recommandations en 2007 pour l'arrêt des benzodiazépines chez le sujet âgé. Car un certain nombre d'arguments plaident en faveur d'une possible accélération de la survenue de démence, et bien que le lien de causalité ne soit pas démontré, il faut, tant individuellement que collectivement, faire de la réduction de risque. Il faut informer sur ces produits, que chacun, médecins et patients, puissent décider d'une consommation en toute connaissance de cause. »

Maryse Lapeyre-Mestre va même plus loin en parlant d'un contrat thérapeutique entre le médecin et son patient, à un moment crucial, celui de la première prescription : « débuter un traitement aux benzodiazépines, c'est très facile. L'arrêter est beaucoup plus compliqué. Il faut dès la première prescription que le patient sache qu'il s'agit d'un traitement ponctuel, de courte durée, prescrit pour aider à passer un cap difficile, et que la date d'arrêt du produit soit décidée d'un commun accord entre le médecin et son patient. »




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