Le vieillissement cognitif, un enjeu pour les politiques publiques selon le CAS (partie 1)

A l’occasion du séminaire « Le vieillissement cognitif : Quelles caractéristiques ? Quelles stratégies préventives ? Quels enjeux pour les politiques publiques » organisé par le Centre d’analyse stratégique le 8 juin 2010 voici la première partie d’un document présenté par le CAS sur la cognition, la promotion de l’emploi des seniors et le bien vieillir.

PAR SENIORACTU.COM | Publié le 16/06/2010

Les tendances démographiques conjointes d'un vieillissement de la population globale et active expliquent l’intérêt porté aux politiques de promotion de la santé cognitive et plus spécifiquement à la question des âges au travail. Si tous les individus connaissent une évolution de leurs capacités mentales (concentration, mémorisation, résolution de problèmes, vitesse de traitement, etc.) au fil des années, ils ne sont pas tous atteints de façon équivalente et irréversible. Ainsi, chacun peut espérer influer sur la réserve cognitive dont il dispose.

L’analyse des données empiriques dessine quelques axes en faveur d’une stratégie de promotion en santé cognitive conçue à chaque période de la vie. Dès l’enfance, favoriser l’accès à une éducation de qualité permet d’entrer dans une spirale vertueuse de prévention en santé cognitive et de lutte contre les inégalités sociales de développement. Par suite, la promotion d’un mode de vie actif doit se faire à tous les âges, en s’intensifiant à partir de la quarantaine.

Dans la sphère professionnelle, la pénibilité n’est pas seulement physique et certains travaux récents ont identifié des facteurs de protection et de risque pour l’efficience cognitive à long terme. Engager des efforts en matière d’organisation du travail, de formation tout au long de la vie et de prise en compte de l’expérience professionnelle des seniors, conditionne alors un vieillissement réussi dans et par l’emploi.

Au grand âge, il s’agit fondamentalement de promouvoir une meilleure compréhension de la personne vieillissante, dans la société comme au sein des familles et des établissements, en informant mieux sur la spécificité des remaniements et des déclins cognitifs, leur prévention et la détection des éventuels troubles pathologiques.

Valoriser la spécificité du travail d’aide auprès des personnes âgées, en incluant plus qu’aujourd’hui la psychologie et la cognition dans les formations, favoriserait l’attractivité de ces emplois, guettés par la pénurie de main-d’oeuvre qualifiée. Enfin, il s’agit de lutter contre l’isolement et le confinement au domicile, en considérant notamment l’apport potentiel des technologies de l’information et de la communication.

Si le vieillissement biologique fait depuis plusieurs décennies l’objet de recherches scientifiques visant à en identifier les causes, les conséquences et les mécanismes, l’étude approfondie de son retentissement sur la cognition, c’est-à-dire sur les fonctions mentales élémentaires et de haut niveau, est d’inspiration plus récente.

Bien qu’elles se heurtent à des difficultés conceptuelles et méthodologiques, les connaissances actuelles progressent et permettent de mieux cerner les effets de l’âge sur les performances cognitives. Les évolutions constatées ne relèvent pas seulement de la pathologie ou de la perte homogène.

Si l’intégralité des facultés intellectuelles est affectée lors du processus naturel de vieillissement, elles ne le sont pas toutes de façon équivalente. En outre, les individus ne sont pas atteints de la même manière et au même rythme, la variabilité interindividuelle allant croissante avec l’âge et étant étroitement associée à la diversité des parcours de vie.

Dans une société caractérisée par une révolution de la longévité, ces observations sortent des laboratoires et soulèvent des enjeux dans la sphère professionnelle, pour l’emploi des plus de 50 ans ; dans la sphère de l’aide à la personne âgée, pour les aidants professionnels et familiaux ; et plus généralement dans une visée de promotion de la qualité de la vie et du vieillissement en bonne santé.

L’efficience cognitive connaît des évolutions notables à partir de la cinquantaine

Des atteintes cognitives à vitesse variable
Plutôt que de vieillissement, le biologiste parle de sénescence pour décrire « l’ensemble des phénomènes naturels non morbides, propres au sujet âgé. Il s’agit essentiellement d’altérations régressives, d’intensité variable, touchant la plupart des tissus et des organes ». Ce phénomène inéluctable est inégal d’un individu à l’autre car il est la résultante du patrimoine génétique et du parcours de vie.

Tout comme la sénescence a un effet sur les facultés motrices ou sensorielles, elle affecte les capacités mentales : on parle alors de « vieillissement cognitif ». Initialement, les études se limitaient à évaluer les performances à l’aide de scores d’intelligence générale, en comparant transversalement un groupe de personnes âgées à de jeunes adultes. Elles concluaient majoritairement à un déclin intellectuel sous l’effet des années. Avec la mise en évidence plus récente d’une pluralité de fonctions cognitives et la réalisation d’études longitudinales et séquentielles, les évaluations sont aujourd’hui plus complexes et nuancées.

Certes, avec l’avancée en âge, l’ensemble des fonctions cérébrales supérieures connaît une dégradation, qu’il s’agisse de la perception, de l’attention, de la résolution de problèmes, de la mémoire ou du langage (qui demeure la capacité la mieux préservée). Cependant, il existe une forte hétérogénéité inter- et intradividuelle selon les capacités considérées et leurs sous-dimensions.

Une première distinction a été opérée entre l’intelligence fluide (fonctionnement opérationnel, adaptatif, intuitif, rapide) qui décline de manière importante et l’intelligence cristallisée (développement de raisonnements à partir de ses expériences et connaissances) qui semble préservée. La majorité des études démontre également une importante détérioration mnésique avec l’âge, mais de façon variable selon le type de mémoire étudié. Il semble que la mémoire à court terme et la mémoire épisodique (événements personnels) soient plus affectées que la mémoire sémantique (connaissances générales) et a fortiori que la mémoire implicite (représentations perceptives) et procédurale (capacités motrices automatiques). De la même façon, les déficits de l’attention sélective (choisir l’information pertinente) et de l’attention partagée (traiter deux choses simultanément), sont plus importants que ceux de l’attention soutenue (rester concentré longtemps).

Ainsi, plus la tâche est complexe, plus elle demande vitesse et flexibilité, plus la différence observée entre les groupes d’âge est importante, et ce dès la cinquantaine. Afin d’expliquer ce phénomène, deux hypothèses, mutuellement non exclusives, sont avancées ; celle du ralentissement cognitif dû à une diminution de la vitesse de traitement des informations et celle du déficit des processus attentionnels inhibiteurs qui engendre une sensibilité à l’interférence. Avec du temps et dans un environnement calme, la plupart des seniors en bonne santé peuvent alors rattraper voire égaler les performances des plus jeunes aux tests cognitifs basiques. Les atteintes cognitives sous l’effet des années ne sont donc pas immuables.

D’autres données positives sont issues d’expérimentations en cognition sociale, qui étudie les habilités en jeu lors des interactions sociales, à l’image de la gestion de conflits, de la prise de risque mesurée ou de la « sagesse » . Bien que les recherches en la matière demeurent rares, les résultats disponibles tendent à montrer une préservation voire une amélioration avec l’âge. Ils donnent donc consistance à la croyance populaire qui oppose à la fougue instinctive des plus jeunes la réflexion posée des aînés, du fait de l’expérience accumulée au fil du temps. Comme le concluent Patrick Lemaire et Delphine Gandini, « à travers les expériences de vie, (…) la capacité à ne pas se laisser dominer par une émotion trop forte, à lui donner un sens dans le parcours de vie et à ne pas interférer négativement dans les relations à autrui est nettement meilleure chez les personnes âgées ». Cependant, le repli sur soi souvent constaté avec l’avancée dans le grand âge pourrait limiter l’expression de ces habilités.

Des inégalités face au vieillissement cognitif qui tendent à s’accroître avec l’âge

À une approche qui considère l’âge comme la principale cause de la sénescence cérébrale, s’oppose une « perspective développementale » où l’âge est une dimension sur laquelle s’inscrivent des variables causales, de nature biologique, environnementale, psychologique et sociale. Le vieillissement cognitif est alors appréhendé, non comme un simple déclin, mais comme une évolution adaptative qui résulte de l’interaction entre le sujet et l’environnement : c’est le modèle biopsychosocial.

Comme tous les organes, le cerveau subit des modifications physiques et chimiques au fil des années, généralement à partir de la cinquantaine et à un rythme plus rapide après 70 ans. Tout d’abord, le vieillissement cérébral est caractérisé par des évolutions macroscopiques et notamment par une atrophie corticale. La circulation sanguine cérébrale a tendance à diminuer, ce qui influe sur les performances cognitives en abaissant l’oxygénation de l’organe. Deuxièmement, le cerveau connaît d’importantes modifications histologiques : au fil des ans, le nombre total de neurones diminue mais différemment selon les régions.

Cependant, ces pertes et évolutions auraient un impact peu important grâce à des mécanismes compensateurs (plasticité cérébrale, suractivation de certaines zones, arborisation neuronale accrue). Troisièmement, des évolutions neurochimiques affectent la transmission d’information entre les neurones. Cette hypothèse du déficit de la « neuromodulation » est actuellement privilégiée afin d’expliquer le vieillissement cognitif : elle éclairerait en grande partie la diminution de la vitesse de traitement des informations et le déficit des processus attentionnels inhibiteurs.

À cette sénescence cérébrale viennent s’additionner et interagir des facteurs psychosociaux au fort retentissement cognitif. Dès l’enfance, l’influence précoce de la scolarisation permet de développer une « réserve cognitive » plus importante mais également de la maintenir plus longtemps. Les études transversales (comparant deux groupes de sujets à un moment donné) et en plan longitudinal (suivant l’évolution dans le temps des résultats d’un même groupe) concluent dans leur immense majorité que le niveau d’études est le premier facteur de protection contre le vieillissement cognitif.

Cet effet serait particulièrement marqué sur la mémoire et de manière générale sur les tâches les plus complexes. L’accumulation de connaissances et d’expériences au cours de la scolarité, mais également la stimulation cérébrale et le développement de stratégies compensatrices, y contribueraient. De plus, l’impact de l’éducation sur les modes de vie ultérieurs est non négligeable (profession exercée, alimentation, activités sociales, physiques, etc.). In fine, les personnes ayant un niveau socioculturel élevé vont voir leurs capacités intellectuelles décliner plus tardivement et plus lentement que les autres, ce qui accroît les différences pendant un temps, puis diminuer de manière plus brutale sur les dernières années de vie. On évoque alors une « compression de la morbidité ».

Tout ne se joue cependant pas sur les bancs de l’école. Il est nécessaire de continuer à développer sa réserve cognitive à chaque période de la vie, au gré des activités quotidiennes, et particulièrement lors de l’entrée dans la soixantaine, où tend à se produire un « vieillissement psycho-social ». En effet, le vieillissement se combine alors avec le départ à la retraite, association qui peut donner lieu à un sentiment de perte de statut social et de dévalorisation. Une diminution importante du réseau social est généralement observée. Dans le grand âge, l’isolement est à la fois subi (veuvage, diminution des occasions de sortie, déclin des capacités physiques et sensorielles) et volontaire (repli sur soi).

Progressivement se met en place une déprise, définie comme « un réaménagement de la vie, inauguré par une sorte d’amoindrissement vital, (…) qui est marqué par l’abandon de certaines activités et relations ». Cette « économie des forces » se fait au prix d’une diminution des capacités cognitives. Les changements de repères, consécutifs à une hospitalisation ou à une entrée en institution par exemple, sont susceptibles de renforcer cet isolement. Ils sont alors souvent suivis d’une accélération du déclin physique et cognitif des personnes âgées.

Plus que l’âge chronologique, c’est la qualité de l’intégration sociale et les capacités adaptatives des individus qui semblent déterminantes. Les différents facteurs évoqués vont interagir et entamer la valeur que se donne la personne, un paramètre critique de la cognition. En effet, l’estime de soi résulte de processus divers et interactifs qui sollicitent à la fois les performances comportementales, la comparaison avec autrui, l’attribution des causes de ses échecs et réussites. La perte de confiance détériore inévitablement les capacités cognitives et, dans un cercle vicieux, la prise de conscience du déclin cérébral entame l’estime de soi.










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