Une société pour tous les âges
La société européenne subit de nombreuses transformations démographiques, technologiques, économiques et sociétales. La vie des Européens est plus longue et plus saine que jamais. Mais le déséquilibre entre jeunes et personnes âgées s’intensifie. Comment repenser les différents temps de vie pour créer une société pour tous les âges ?
L’allongement des seniors dans l’emploi nécessite la prise en compte des secondes parties de carrière. Les solidarités familiales descendantes (grand-parentalité active) pallient souvent aux déficiences des systèmes collectifs. A l’inverse, les dépendances du grand âge font appels aux solidarités ascendantes. Pour faire face à ces situations nouvelles, de nouveaux systèmes d’entraide entre générations se développent. Elles devront s’enrichir et se multiplier.
Jeanne Bolon, militante CFDT, jeune retraitée a choisi pour son début de carrière de « militante citoyenne » d’être la marraine de jeunes en recherche d’emploi. Elle cherche à tisser des liens entre la découverte et… la sortie du monde du travail, en complément des actions ordinaires des conseillers des Missions locales pour les jeunes de 18 à 25 ans.
Elle témoigne : « Je me suis associée à cette action un peu par hasard. J’avais envie de faire quelque chose de ma retraite, après une première année consacrée à régler des questions personnelles. En octobre 2006, un forum du bénévolat des seniors était planté devant l’Hôtel de Ville. Plusieurs stands m’avaient attirée : ATD-Quart Monde, Cimade, randonnées. Je suis restée une demi-heure à discuter au stand de la Mission locale. Un "parrain" y témoignait de ce qu’il faisait. Un "pourquoi pas ? " s’est déclenché et j’ai laissé mes coordonnées pour un contact plus individuel avec le responsable du parrainage. Mon métier antérieur m’avait déjà mise en contact avec des jeunes, puisque l’essentiel de ma carrière a consisté à former de futurs instituteurs et professeurs des écoles. Mais mon auditoire n’avait pas le profil des jeunes qui fréquentent les missions locales… »
Et Jeanne de poursuivre : « Le rôle d’un parrain ou d’une marraine n’est pas de remplacer le conseiller professionnel, mais de permettre à un(e) jeune de s’entraîner à dialoguer avec quelqu’un, a priori bienveillant, qui, le plus souvent, ne connaît pas grand-chose du secteur professionnel souhaité. J’ai aidé un futur électricien à prendre conscience que, sans permis, les offres d’emploi ne lui seraient pas accessibles. Une future aide-soignante a réussi peu à peu à surmonter ses angoisses avec des simulations répétées de l’examen d’entrée. En ce moment, avec une future tapissière-décoratrice sans CAP, on cherche des stages rémunérés sur internet. Je lui ai appris à utiliser le courrier électronique, sésame indispensable aujourd’hui pour trouver un emploi. »
Jeanne découvre là un milieu socio-professionnel qui n’est pas le sien. Ce n’est pas toujours la misère, mais c’est souvent la ségrégation sociale. Elle y voit aussi les traces bien faibles de l’enseignement : « beaucoup de jeunes ont des difficultés du côté de la maîtrise de l’écrit ». Elle constate, trop souvent, la dureté du temps : on propose des emplois en CDD à des jeunes pourvus d’un bac professionnel avec permis B exigé, emplois payés au Smic. A ceux qui sont sans formation ni certification, on demande cependant d’avoir une adresse électronique et un numéro de portable, ce qui veut dire un accès à un ordinateur, une imprimante, et de quoi payer des heures de téléphonie. La Mission locale le propose, mais pas à temps plein. Que d’obstacles y compris pour passer un balai dans une cage d’escalier ! Et pourtant, certains s’en sortent... Jeanne apprend, 3 ou 4 ans plus tard, que tout va bien pour eux !
Formuler les projets
En mars 2009, le Conseil économique, social et environnemental a publié un rapport intitulé « seniors et cité » qui voulait promouvoir l’idée que les « baby-boomers » ont un rôle majeur à jouer dans les nouveaux défis des territoires.
Entre sortie du travail et vieillesse au sens où hommes et femmes souhaitent se « retirer », de 55 à 75 ans en moyenne, les seniors disposent d’une denrée rare : le temps, notent les experts du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Le premier frein à lever pour qu’ils en profitent et en fassent profiter la société tient à l’anticipation : la retraite est, en France, une rupture brutale. Et ces dernières années, les mises à la retraite imposées ont entraîné chez certains de longues périodes de mal-être. Le CESE estime qu’il conviendrait de mieux préparer la transition pendant les dernières années de la vie professionnelle, qui s’achève en moyenne à 58 ans.
Développer des fonctions tournées vers le tutorat, la transmission de l’expérience auprès de jeunes salariés, rendrait plus attractive la fin de carrière, et permettrait aux salariés seniors de s’impliquer de façon positive pour l’avenir ou de s’orienter vers d’autres formes d’activités tournées vers sa future vie de retraité. Leur participation à des projets associatifs, humanitaires, soutenus par des entreprises ou des organisations peut aussi offrir une occasion de faire « le pont » entre l’avant et l’après-boulot.
L’avis qui accompagne ce rapport propose également que les caisses de retraite réalisent pour chaque salarié un « bilan de potentiel retraite » pour formuler ses projets et l’aider à les réaliser.
Un espace d’implication
Un second obstacle à l’épanouissement des seniors est la fracture numérique. Elle menace en France 5,78 millions d’entre eux. Connaître et savoir se servir d’internet peut pourtant les aider à rester actifs, connectés avec leur environnement. Le CESE propose par exemple le maintien d’un lien intranet entre l’entreprise et le senior aussi longtemps que ce dernier le désire. Au-delà, il est prouvé que la maîtrise des nouvelles technologies leur permettra de rester autonomes plus longtemps et de ne pas se sentir isolés des préoccupations des autres générations.
En termes d’aménagement du territoire, les seniors posent aux responsables locaux des problèmes complexes : aménager sans ghettoïser, permettre de circuler, d’accéder aux espaces de vie commune par des moyens de transports efficaces, maintenir le lien entre les générations sans construire des « gated communities », ces « ghettos dorés » comme il en existe aux États-Unis, mais également en France ! Mais si le maintien des seniors dans la cité exige de penser les investissements publics pour favoriser leur mobilité, il représente avant tout une opportunité réelle dans les quartiers, en constituant notamment une présence continue et ainsi un atout pour la médiation sociale.
L’éloignement domicile-travail, et donc l’absence des parents une majeure partie de la journée, laisse un espace d’implication pour les jeunes retraités, en faveur de programmes de découvertes périscolaires et d’actions associatives de terrain avec des jeunes.
Entre générations
Définir de nouveaux métiers d’utilité sociale au service de causes précises et à but non lucratif : voilà une piste constructive de travail pour les seniors dessinée par le CESE. Par exemple, certaines associations se proposent aussi d’élire les seniors ambassadeurs locaux de l’environnement. Les rendre porteurs d’un message d’avenir apparaît particulièrement pertinent à la fois dans le sens d’une valorisation de leur apport à la société et dans le changement de regard sur eux que cela pourrait engendrer au sein des autres générations.
Le regard des Français sur les seniors reste encore très focalisé sur des préoccupations de santé. La sensibilité à la richesse des liens intergénérationnels est mise à l’épreuve par le déséquilibre croissant des régimes de retraite. Or, les difficultés rencontrées sur le pacte générationnel sont en partie similaires à celles de la mixité sociale. Les politiques publiques doivent donc aller dans le sens d’un maintien des seniors dans la cité et organiser les modalités de l’échange et de l’entraide entre générations, pour parvenir à changer le regard de la société sur les seniors : l’enjeu est immense, reconnaît le CESE.
*Dossier coordonné et réalisé par Danièle Rived, en collaboration avec Jean-Pierre Bobichon, Monique Boutrand, Bernard Verwée et Daniel Druesne.
Source CFDT Retraités
La société européenne subit de nombreuses transformations démographiques, technologiques, économiques et sociétales. La vie des Européens est plus longue et plus saine que jamais. Mais le déséquilibre entre jeunes et personnes âgées s’intensifie. Comment repenser les différents temps de vie pour créer une société pour tous les âges ?
L’allongement des seniors dans l’emploi nécessite la prise en compte des secondes parties de carrière. Les solidarités familiales descendantes (grand-parentalité active) pallient souvent aux déficiences des systèmes collectifs. A l’inverse, les dépendances du grand âge font appels aux solidarités ascendantes. Pour faire face à ces situations nouvelles, de nouveaux systèmes d’entraide entre générations se développent. Elles devront s’enrichir et se multiplier.
Jeanne Bolon, militante CFDT, jeune retraitée a choisi pour son début de carrière de « militante citoyenne » d’être la marraine de jeunes en recherche d’emploi. Elle cherche à tisser des liens entre la découverte et… la sortie du monde du travail, en complément des actions ordinaires des conseillers des Missions locales pour les jeunes de 18 à 25 ans.
Elle témoigne : « Je me suis associée à cette action un peu par hasard. J’avais envie de faire quelque chose de ma retraite, après une première année consacrée à régler des questions personnelles. En octobre 2006, un forum du bénévolat des seniors était planté devant l’Hôtel de Ville. Plusieurs stands m’avaient attirée : ATD-Quart Monde, Cimade, randonnées. Je suis restée une demi-heure à discuter au stand de la Mission locale. Un "parrain" y témoignait de ce qu’il faisait. Un "pourquoi pas ? " s’est déclenché et j’ai laissé mes coordonnées pour un contact plus individuel avec le responsable du parrainage. Mon métier antérieur m’avait déjà mise en contact avec des jeunes, puisque l’essentiel de ma carrière a consisté à former de futurs instituteurs et professeurs des écoles. Mais mon auditoire n’avait pas le profil des jeunes qui fréquentent les missions locales… »
Et Jeanne de poursuivre : « Le rôle d’un parrain ou d’une marraine n’est pas de remplacer le conseiller professionnel, mais de permettre à un(e) jeune de s’entraîner à dialoguer avec quelqu’un, a priori bienveillant, qui, le plus souvent, ne connaît pas grand-chose du secteur professionnel souhaité. J’ai aidé un futur électricien à prendre conscience que, sans permis, les offres d’emploi ne lui seraient pas accessibles. Une future aide-soignante a réussi peu à peu à surmonter ses angoisses avec des simulations répétées de l’examen d’entrée. En ce moment, avec une future tapissière-décoratrice sans CAP, on cherche des stages rémunérés sur internet. Je lui ai appris à utiliser le courrier électronique, sésame indispensable aujourd’hui pour trouver un emploi. »
Jeanne découvre là un milieu socio-professionnel qui n’est pas le sien. Ce n’est pas toujours la misère, mais c’est souvent la ségrégation sociale. Elle y voit aussi les traces bien faibles de l’enseignement : « beaucoup de jeunes ont des difficultés du côté de la maîtrise de l’écrit ». Elle constate, trop souvent, la dureté du temps : on propose des emplois en CDD à des jeunes pourvus d’un bac professionnel avec permis B exigé, emplois payés au Smic. A ceux qui sont sans formation ni certification, on demande cependant d’avoir une adresse électronique et un numéro de portable, ce qui veut dire un accès à un ordinateur, une imprimante, et de quoi payer des heures de téléphonie. La Mission locale le propose, mais pas à temps plein. Que d’obstacles y compris pour passer un balai dans une cage d’escalier ! Et pourtant, certains s’en sortent... Jeanne apprend, 3 ou 4 ans plus tard, que tout va bien pour eux !
Formuler les projets
En mars 2009, le Conseil économique, social et environnemental a publié un rapport intitulé « seniors et cité » qui voulait promouvoir l’idée que les « baby-boomers » ont un rôle majeur à jouer dans les nouveaux défis des territoires.
Entre sortie du travail et vieillesse au sens où hommes et femmes souhaitent se « retirer », de 55 à 75 ans en moyenne, les seniors disposent d’une denrée rare : le temps, notent les experts du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Le premier frein à lever pour qu’ils en profitent et en fassent profiter la société tient à l’anticipation : la retraite est, en France, une rupture brutale. Et ces dernières années, les mises à la retraite imposées ont entraîné chez certains de longues périodes de mal-être. Le CESE estime qu’il conviendrait de mieux préparer la transition pendant les dernières années de la vie professionnelle, qui s’achève en moyenne à 58 ans.
Développer des fonctions tournées vers le tutorat, la transmission de l’expérience auprès de jeunes salariés, rendrait plus attractive la fin de carrière, et permettrait aux salariés seniors de s’impliquer de façon positive pour l’avenir ou de s’orienter vers d’autres formes d’activités tournées vers sa future vie de retraité. Leur participation à des projets associatifs, humanitaires, soutenus par des entreprises ou des organisations peut aussi offrir une occasion de faire « le pont » entre l’avant et l’après-boulot.
L’avis qui accompagne ce rapport propose également que les caisses de retraite réalisent pour chaque salarié un « bilan de potentiel retraite » pour formuler ses projets et l’aider à les réaliser.
Un espace d’implication
Un second obstacle à l’épanouissement des seniors est la fracture numérique. Elle menace en France 5,78 millions d’entre eux. Connaître et savoir se servir d’internet peut pourtant les aider à rester actifs, connectés avec leur environnement. Le CESE propose par exemple le maintien d’un lien intranet entre l’entreprise et le senior aussi longtemps que ce dernier le désire. Au-delà, il est prouvé que la maîtrise des nouvelles technologies leur permettra de rester autonomes plus longtemps et de ne pas se sentir isolés des préoccupations des autres générations.
En termes d’aménagement du territoire, les seniors posent aux responsables locaux des problèmes complexes : aménager sans ghettoïser, permettre de circuler, d’accéder aux espaces de vie commune par des moyens de transports efficaces, maintenir le lien entre les générations sans construire des « gated communities », ces « ghettos dorés » comme il en existe aux États-Unis, mais également en France ! Mais si le maintien des seniors dans la cité exige de penser les investissements publics pour favoriser leur mobilité, il représente avant tout une opportunité réelle dans les quartiers, en constituant notamment une présence continue et ainsi un atout pour la médiation sociale.
L’éloignement domicile-travail, et donc l’absence des parents une majeure partie de la journée, laisse un espace d’implication pour les jeunes retraités, en faveur de programmes de découvertes périscolaires et d’actions associatives de terrain avec des jeunes.
Entre générations
Définir de nouveaux métiers d’utilité sociale au service de causes précises et à but non lucratif : voilà une piste constructive de travail pour les seniors dessinée par le CESE. Par exemple, certaines associations se proposent aussi d’élire les seniors ambassadeurs locaux de l’environnement. Les rendre porteurs d’un message d’avenir apparaît particulièrement pertinent à la fois dans le sens d’une valorisation de leur apport à la société et dans le changement de regard sur eux que cela pourrait engendrer au sein des autres générations.
Le regard des Français sur les seniors reste encore très focalisé sur des préoccupations de santé. La sensibilité à la richesse des liens intergénérationnels est mise à l’épreuve par le déséquilibre croissant des régimes de retraite. Or, les difficultés rencontrées sur le pacte générationnel sont en partie similaires à celles de la mixité sociale. Les politiques publiques doivent donc aller dans le sens d’un maintien des seniors dans la cité et organiser les modalités de l’échange et de l’entraide entre générations, pour parvenir à changer le regard de la société sur les seniors : l’enjeu est immense, reconnaît le CESE.
*Dossier coordonné et réalisé par Danièle Rived, en collaboration avec Jean-Pierre Bobichon, Monique Boutrand, Bernard Verwée et Daniel Druesne.
Source CFDT Retraités